Une veuve romaine
elle devait constamment garder les économies de toute une vie à portée de la main.) Rentre avec moi à la maison, nous ferons un bon dîner.
Elle avait certainement projeté de me garder sous sa surveillance, tandis que moi, je souhaitais m’esquiver au plus vite.
— J’ai besoin de voir Helena, maman.
En temps normal, il n’est pas recommandé à un célibataire qui vient d’être tiré d’un cachot par sa vieille mère de laisser entendre qu’il a envie de rejoindre une autre femme. Mais elle se contenta de hocher la tête. Il faut préciser qu’Helena Justina était fille de sénateur. Donc, rendre visite à une dame d’une telle position sociale représentait un véritable privilège pour quelqu’un dans mon genre – rien à voir avec la dépravation coutumière dont se plaignent les mères. Outre cela, en partie à cause d’un accident survenu dans un escalier, Helena venait juste de perdre notre premier enfant. Si toutes les femmes de la famille avaient tendance à me considérer comme un parfait bon à rien, en ce qui concernait Helena, elles s’accordaient à dire que je devais lui rendre visite aussi souvent que possible.
— Viens avec moi, suggérai-je.
— Ne sois pas idiot ! rétorqua ma mère. C’est toi qu’elle a envie de voir !
Cette affirmation ne suffit pas à restaurer ma confiance en moi.
Maman habitait près du fleuve, derrière l’Emporium. Nous traversâmes le Forum lentement – pour bien souligner que les ennuis dans lesquels je m’étais fourré ne l’avaient pas laissée indemne. Elle m’abandonna heureusement devant mon établissement de bains préféré, derrière le temple de Castor. Je parvins à m’y débarrasser de la puanteur de la prison. Puis, drapé dans une tunique de rechange que j’avais laissée au gymnase en cas d’urgence, je trouvai un barbier qui réussit à me procurer une apparence plus respectable – abstraction faite des coupures qu’il m’infligea.
Je sortis de là le teint toujours gris, à cause de mon emprisonnement, mais beaucoup plus détendu. Je dirigeai mes pas vers le mont Aventin, tout en passant les doigts dans mes boucles humides pour essayer – dans un vain effort – de me donner l’air débonnaire d’un célibataire susceptible d’éveiller l’ardeur d’une femme. Puis le malheur frappa. Je remarquai, mais trop tard, deux colosses de mauvaise réputation. Ils se tenaient appuyés contre un portique, de façon à exhiber leurs muscles pour le bénéfice de tous ceux qui passaient de leur côté de la rue. Vêtus de simples pagnes, ils avaient entortillé des courroies de cuir autour de leurs genoux, de leurs chevilles et de leurs poignets, afin d’accentuer leur air brutal. Leur arrogance m’était péniblement familière.
— Oh ! regarde ! Voilà Falco.
— Oh ! quelle surprise ! Rodan et Asiacus.
Je n’avais pas fini de parler que l’un d’eux, passant derrière moi, m’immobilisait les bras. L’autre, sous couvert de me serrer la main, tirait dessus au point de me disloquer le poignet. Leur odeur de sueur rancie et d’ail frais me faisait monter les larmes aux yeux.
— Oh ! arrête ton char, Rodan, j’ai déjà le bras assez long, essayai-je de plaisanter.
Donner le nom de gladiateur à ces deux-là, c’était insulter les pires représentants de la profession. Rodan et Asiacus s’entraînaient dans une caserne dirigée par Smaractus (mon propriétaire) et, quand ils n’étaient pas occupés à se taper dessus avec des glaives d’entraînement, il les envoyait dans les rues pour rendre celles-ci encore plus dangereuses qu’à l’accoutumée. En fait, ils ne se montraient pas beaucoup dans les arènes. Leur participation à la vie publique consistait surtout à intimider les malheureux locataires qui louaient leur logis à Smaractus. En la matière, le fait d’être en prison m’avait offert un avantage : éviter mon propriétaire et ses deux suppôts.
Asiacus me souleva afin de mieux me secouer. Je ne fis rien pour l’empêcher de modifier la disposition naturelle de mes intestins. J’étais sûr qu’il se lasserait avant moi. J’attendis que mes pieds touchent de nouveau le sol et, me penchant en avant pour le déséquilibrer, je le fis passer par-dessus ma tête, l’envoyant s’écraser aux pieds de Rodan.
— Par les dieux de l’Olympe ! Smaractus ne vous apprend donc rien ? (Je bondis prestement en arrière, hors de leur portée.) Vous devriez vous tenir
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