Vers l'orient
durant ton séjour, afin de te donner un aperçu
des délices de Bagdad. Je peux m’avérer tout à fait savoureuse dans cette
tâche. Tu verras.
Là-dessus, elle s’évanouit dans la lumière nacrée de
la lune, me laissant seul dans le jardin, à la fois remué et tremblant. Je
dirais même, pour être plus exact, vibrant. Quand je regagnai ma chambre d’un
pas chancelant, Karim était là, prêt à m’aider à ôter ces peu familiers
vêtements persans. Il se mit à rire, émit des sifflements d’admiration et
dit :
— Le jeune Mirza me laissera sans doute achever
sa relaxation d’une bonne champna, j’imagine !
Il se versa de l’huile d’amande douce au creux de la
main et opéra avec le soin expert qu’il savait y mettre. Je le laissai faire
avec délectation en sombrant peu à peu dans un sommeil languide.
Je m’éveillai tard le lendemain, tout comme mon père
et mon oncle dont l’entretien avec le shah Zaman s’était prolongé très avant
dans la nuit. Au cours du petit déjeuner qu’on nous avait servi dans notre
suite, ils m’expliquèrent qu’ils souhaitaient peser l’idée du shah d’atteindre
les Indes par la mer. Il fallait cependant d’abord s’assurer que la chose fût
réalisable. Pour cela, chacun d’eux allait se rendre dans l’un des ports du
golfe Persique – mon père à Ormuz, mon oncle à Bassora – pour vérifier, comme
le pensait le shah, si l’on pouvait persuader un capitaine de commerce arabe de
convoyer vers les Indes des commerçants vénitiens pourtant rivaux.
— Lorsque nous aurons obtenu ces confirmations,
poursuivit mon père, nous nous retrouverons tous ici à Bagdad, car le shah
voudra sans doute nous confier un grand nombre de cadeaux à l’intention du
khakhan. Tu as donc le choix, Marco, d’accompagner l’un d’entre nous ou de nous
attendre ici.
L’esprit empreint de la shahzrad Magas, mais gardant
assez de bon sens pour ne pas la mentionner, je déclarai que je préférais rester.
J’en profiterais, arguai-je, pour me familiariser un peu mieux avec la ville de
Bagdad.
Oncle Matteo émit un sifflement railleur :
— À la façon dont tu t’étais familiarisé avec
Venise pendant que nous n’y étions pas, c’est cela ? Bien peu de Vénitiens
ont réussi à tâter du Volcan, tu sais ! Se tournant vers mon père, il
ajouta : Est-il vraiment prudent de laisser ce malandrin tout seul dans
une cité étrangère, Nico ?
— Comment ça, seul ? protestai-je. Mais j’ai
avec moi mon serviteur, Karim, et... (je manquai à nouveau évoquer la princesse
Phalène), enfin, tout le personnel du palais.
— Ils sont au service du shah, pas au tien,
remarqua mon père. Si tu devais de nouveau avoir des ennuis...
Je répliquai, indigné, que le plus récent trouble que
j’avais provoqué avait consisté à les sauver d’un égorgement en plein sommeil,
qu’ils m’avaient félicité de ce que j’avais fait alors, que c’était d’ailleurs
grâce à cela que j’étais resté en leur compagnie et que, par conséquent...
Mon père m’interrompit durement d’un proverbe :
— Il est toujours plus aisé de regarder derrière
soi que devant. Nous n’avons pas l’intention de te faire surveiller par un
directeur de conscience, mon garçon. Je pense cependant qu’il serait sage
d’acheter pour toi un esclave qui pourrait être ton domestique et veiller à tes
intérêts. Nous irons voir cela au bazar.
Le mélancolique wazir Jamshid nous y accompagna
afin de nous servir d’interprète dans le cas où notre farsi viendrait à
s’avérer insuffisant. En cours de route, il nous expliqua diverses
particularités que je découvrais pour la première fois. J’avais, par exemple,
remarqué, en regardant les hommes dans la rue, qu’aucun des plus âgés ne
laissait sa barbe noire devenir poivre et sel ni même blanche, mais que, au
contraire, tous arboraient une barbe du plus bel orange vif, tel du vin de
Chiraz. Jamshid m’indiqua qu’ils se la teignaient à l’aide des feuilles d’une
plante, le henné, que les femmes utilisaient également comme produit
cosmétique, ainsi que les charretiers pour parer leurs chevaux. On n’avait
d’ailleurs pas recours, à Bagdad, pour les tâches de trait ou de bât, aux
splendides pur-sang arabes utilisés pour la monte. On confiait ce rôle à de
minuscules poneys à peine plus grands que des mastiffs, qui, je dois le dire,
avec leurs crinières et leurs queues teintes au henné
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