Vers l'orient
Toutes en étaient à l’étape
de la floraison, mais dans dix des douze quartiers, comme certaines le font
souvent la nuit, les fleurs avaient refermé leur corolle. Dans un segment,
cependant, quelques-unes, d’un beau rose pâle, étaient encore en train de
replier leurs pétales, tandis que, dans la portion adjacente, d’autres, bien
plus larges et d’une blancheur immaculée, s’épanouissaient largement, exhalant
au cœur de la nuit un parfum capiteux et enivrant.
— Voici le gulsa’at, résonna une voix
semblable à ce parfum. Tournant la tête, je découvris la jeune et avenante
shahzrad, suivie de près par sa vieille grand-mère. La princesse Phalène
continua son explication :
— Le gulsa’at est le cadran floral. Dans
votre pays, vous disposez pour compter les heures de sabliers et de clepsydres,
n’est-ce pas ?
— C’est exact, shahzrad Magas Mirza,
acquiesçai-je, prenant bien soin de citer son titre royal au complet.
— Vous pouvez m’appeler Phalène, glissa-t-elle
doucement avec un petit sourire sous son tchador diaphane. (Elle me montra le gulsa’at.) Ce cadran floral indique lui aussi les heures, sans qu’on ait jamais besoin
ni de le retourner ni de le remplir. Chaque sorte de fleur de ce massif
circulaire s’ouvre à une certaine heure de la journée ou de la nuit, et se
referme à une autre. Elles ont été choisies pour la régularité de leur
épanouissement, on les a plantées dans l’ordre qui convenait, et voilà !
Elles annoncent alternativement les douze heures qui séparent le lever et le
coucher du soleil.
— Cette invention est aussi belle que vous, princesse
Phalène, déclarai-je hardiment.
— Le shah, mon père, a grand plaisir à compter
ainsi les heures, ajouta-t-elle. Là-bas, il y a le palais masjid où nous
nous recueillons, et, voyez-vous, lui aussi fait office de calendrier. Des
ouvertures sont pratiquées dans l’un de ses murs, et, à chaque aube nouvelle,
le soleil luit par l’un des trous, indiquant le jour et le mois.
Un peu comme le soleil dans le ciel, je faisais le
tour de la jeune fille afin de la placer entre la lune et moi, pour que sa
lumière nacrée puisse révéler, à travers la finesse de ses vêtements, les
courbes sensuelles de son corps. La vieille grand-mère perça à l’évidence mes
intentions, car elle me montra les gencives avec malveillance.
— Plus loin, poursuivit la princesse, se trouve le
harem où résident les autres femmes et concubines de mon père. Il en possède
plus de trois cents, si bien qu’il pourrait, s’il le voulait, en avoir une
différente avec lui chaque jour de l’année. Cependant, il préfère ma mère, sa
première épouse, même si elle bavarde toute la nuit. Finalement, il n’en
choisit une des autres que lorsqu’il veut passer une bonne nuit de sommeil.
À me délecter ainsi à la clarté indiscrète de la lune
des courbes exquises du corps de la shahzrad, je sentais le mien faire preuve
d’une soudaine vivacité et se réveiller comme au cours de la champna. Je
fus bien soulagé de ne point porter mes chausses vénitiennes très ajustées, car
le renflement que j’y aurais imprimé aurait été tout sauf gracieux. Noyé dans
cet ample pai-jamah, je ne pensais pas que mon émoi fût décelable. La
princesse dut cependant bien s’en apercevoir car, à mon immense stupéfaction,
elle me dit brusquement :
— Tu aimerais bien me conduire dans ton lit et
faire la zina avec moi, n’est-ce pas ?
Je chancelai et faillis trébucher, trouvant le moyen
de bégayer :
— Vous... vous ne devriez pas parler de la sorte,
princesse, en présence de votre royale grand-mère ! Car je suppose qu’elle
vous tient lieu de... (ne sachant pas le mot farsi, j’utilisai le terme
français) chaperon ?
La shahzrad eut un geste de gracieuse désinvolture.
— Cette chère vieille chose est aussi sourde
qu’un gulsa’at. N’y prête pas attention et réponds-moi. Tu aimerais bien
pousser ton zab dans mon mihrab, je me trompe ?
J’avalai ma salive et répondis, la gorge nouée :
— Je me garderais bien d’être aussi
présomptueux... Enfin, je veux dire, Votre Altesse royale...
Elle acquiesça de la tête et affirma aussitôt :
— Je crois qu’on peut arranger quelque chose de
ce genre. Non, ne me touche pas. Ma grand-mère ne nous entend peut-être pas
mais nous voit parfaitement. Il nous faut être discrets. Je vais demander à mon
père si je peux être ton guide
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