Vers l'orient
assistants. Les chants entonnés
n’avaient rien de religieux – l’islam y est plutôt réticent – mais étaient au
contraire délibérément paillards. Des montreurs d’ours, à l’ouvrage avec leurs
agiles et acrobatiques compagnons, assuraient le spectacle, tandis que des charmeurs
de serpents faisaient danser de la tête, dans leurs paniers, des najas
encapuchonnés, et que des diseurs de bonne aventure lisaient l’avenir dans le
sable, au milieu de mimes vêtus de la façon la plus burlesque qui, tout en
effectuant force cabrioles, racontaient à la cantonade des plaisanteries
passablement grivoises.
Lorsque je me fus consciencieusement grisé d’araq, cette
enivrante liqueur de datte, je laissai de côté mes préventions de chrétien
contre la voyance et m’adressai à l’un des devins (ou fardarbab) qui se
trouvaient là, un vieil Arabe, à moins qu’il ne fut juif, à la barbe
clairsemée, et le priai de me dévoiler ce qu’il pouvait de mon futur. Dans sa
clairvoyance de sorcier, il dut détecter qu’il avait affaire à un bon chrétien,
donc à un incroyant, car il se contenta de jeter un simple regard dans le sable
qu’il venait de secouer avant de grommeler : « Méfie-toi de la
beauté, elle est assoiffée de sang... » Ceci ne me donnait aucune
indication précise quant à ce qui pourrait m’arriver, bien que cette phrase
résonnât quelque peu dans mon souvenir, car je l’avais déjà entendue ailleurs,
en termes similaires, peu de temps auparavant. J’éclatai donc d’un rire
goguenard au nez du vieil imposteur, me relevai sur mes deux jambes et
m’éloignai en réalisant une série de cabrioles qui s’achevèrent par une lourde
chute dont vint me relever Karim, avant de me soutenir jusqu’à mon lit.
C’était une des nuits exemptes de retrouvailles avec
Lumière du Soleil et Phalène. Un peu plus tard d’ailleurs, cette dernière vint
m’annoncer qu’il faudrait que je trouve à occuper sans elle mes prochaines
nuits, car elle avait ses règles.
— Tes règles ? fis-je en écho.
— Les saignements féminins, précisa-t-elle,
agacée.
— Et qu’est-ce que c’est que ça ? demandai-je,
n’en ayant vraiment jamais entendu parler jusque-là.
Elle me lança de ses yeux verts un long regard de
côté, mi-amusée mi-exaspérée, et dit tendrement :
— Grand fou que tu es... Comme tous les jeunes
gens, tu te représentes une jolie femme comme une entité pure et parfaite,
telles ces petites créatures ailées appelées péri. Le délicat péri ne
se nourrit que du parfum des fleurs et, de ce fait, il ne défèque ni n’urine
jamais. Tu penses sans doute que, comme lui, une belle femme ne peut point être
soumise aux sujétions et aux imperfections du reste de l’humanité, n’est-ce
pas ?
Je haussai les épaules.
— Est-ce une honte que de le penser ?
— Oh, je n’irai pas jusqu’à dire cela, car nous
autres, jolies femmes, tirons plutôt avantage de cette illusion masculine. Mais
c’est un leurre, Marco, et quitte à trahir mon sexe, je préfère te dessiller à
ce sujet. Écoute-moi.
Et elle me conta ce qui arrivait aux jeunes filles aux
alentours de leur dixième année, cap qui, une fois franchi, en faisait des
femmes véritables, et ce phénomène qui se reproduisait ensuite invariablement à
chaque lunaison.
— Vraiment ? m’étonnai-je. Jamais je n’en
avais entendu parler. Toutes les femmes sont concernées ?
— Oui. Elles doivent les endurer jusqu’à ce
qu’elles aient atteint l’âge avancé auquel on devient sec, dans tous les sens
du terme. Cette période s’accompagne en général de crampes, de douleurs
dorsales et d’accès de mauvaise humeur. La femme devient alors maussade,
prompte au ressentiment et, lorsqu’elle est sage, elle veille à se tenir à
l’écart ou se drogue au teryak ou au banj, jusqu’à ce que ses
règles s’achèvent.
— Bigre, c’est effrayant !
Phalène éclata de rire, mais sans aucune moquerie.
— Bien plus effrayant encore lorsqu’un mois
survient où ces règles n’arrivent pas. Car cela signifie alors qu’elle est
enceinte. Et ne compte pas sur moi pour te décrire les épanchements et fuites
dégoûtantes et embarrassantes qui suivent ces menstruations, car je ne me sens
vraiment pas d’humeur, en ce moment, à te les détailler. De peur d’être par
trop désagréable, je vais me retirer. Laisse-moi tranquille, Marco, comme tous
les maudits hommes sans
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