Vers l'orient
pilosité, en raison de l’agitation
constante de ses mâchoires !
Nous rîmes, mon père, mon oncle et moi-même, de bon
cœur à ce trait d’esprit, et je fis remarquer :
— Si telle en est la raison, alors je m’en
réjouis. J’avoue que je serais quelque peu refroidi par une femme à barbe. Mais
n’aurait-il pas été plus avisé de la part du Créateur de concevoir directement
les femmes moins pipelettes ?
— Ah çà, glissa mon père, si prompt à moraliser,
quelle que soit la situation, il faut qu’elles jacassent.
— Mirza Marco, attendez celle-ci, j’ai une
nouvelle devinette pour vous ! pépia soudain Aziz, bondissant de joie à l’endroit
où il était assis.
Cet ange sali était sans doute doté d’une sagesse que
n’avaient pas bien des chrétiens adultes, mais n’en demeurait pas moins un
enfant. Et il était tellement heureux de parler que ses mots se bousculaient.
— Les bêtes sont rares, dans ce désert. Pourtant,
il en est une qui possède les caractéristiques de sept animaux différents. Voulez-vous
savoir laquelle, Mirza Marco ?
Je fronçai le sourcil, fis mine de réfléchir
intensément avant de lâcher, comme à regret :
— Je donne ma langue au chat.
Aziz exulta d’un rire triomphant et ouvrit la bouche
pour répondre. Mais son expression se peignit d’une totale stupéfaction et ses
yeux s’agrandirent, imité en cela par mon père et mon oncle. Narine et moi n’eûmes
qu’un demi-tour à faire sur nous-mêmes pour découvrir ce qui les pétrifiait à
ce point.
Trois hommes bruns, hirsutes, s’étaient matérialisés
dans le brouillard sec de la nuit et nous regardaient par les fentes de leurs
yeux d’un visage inexpressif. Ils étaient vêtus de cuir et de peaux de bêtes,
et non de vêtements arabes. À les voir ainsi couverts d’une croûte de poussière
solidifiée par la transpiration et à sentir la forte odeur qu’ils diffusaient
de là où ils se trouvaient, il était facile de comprendre qu’ils avaient dû
voyager à pleine vitesse et qu’ils venaient de loin.
— Sain bina, lança mon oncle, le premier à se ressaisir et à se relever lentement
sur ses pieds.
— Mendu, sain bina, répondit l’un des étrangers qui semblait légèrement
surpris lui-même.
Mon père se redressa à son tour, et lui et oncle
Matteo s’inclinèrent en geste de bienvenue, avant de commencer à parler aux
nouveaux venus dans un langage que je ne comprenais pas. Les trois têtes de
loup tirèrent par leurs rênes leurs chevaux du brouillard où ils se tenaient
tapis derrière eux et les conduisirent à la source. Ils attendirent que leurs
bêtes aient complètement étanché leur soif pour boire à leur tour.
Narine, Aziz et moi nous levâmes du feu, cédant nos
places aux étrangers. Mon père et mon oncle s’assirent avec eux, sortirent de
la nourriture de nos ballots et leur en offrirent tout en continuant de leur
parler, pendant que ceux-ci dévoraient voracement. Quoique me tenant
discrètement à l’écart du conciliabule, j’étudiai les trois arrivants avec la
plus grande attention. Ils étaient petits et râblés, mais massifs. Leurs
visages avaient la couleur et la texture du cuir de chevreau tanné, et deux
d’entre eux portaient des moustaches à la fois longues et fines, mais aucun
n’était barbu. Leurs rudes cheveux, presque aussi longs que ceux d’une femme,
étaient tressés de multiples nattes. Leurs yeux en amande, je le répète,
n’étaient que de simples fentes, si étroites que je me demandais même comment
ils pouvaient parvenir à voir quelque chose à travers. Chacun d’eux portait
dans le dos un petit arc acéré aux courbes variées, la corde passée sur la
poitrine à côté d’un carquois à flèches courtes, et arborait à la ceinture un
long poignard ou une petite épée.
Je reconnus sans peine des Mongols, en ayant déjà
aperçu en une occasion et sachant que cette province, bien qu’appelée Perse,
faisait partie du khanat mongol. Mais pourquoi diable ces trois Mongols
rôdaient-ils dans ces solitudes ? Ils ne ressemblaient pas vraiment à des
bandits et n’avaient pas l’air enclins à nous faire du mal, ou peut-être mon
père et mon oncle les en avaient-ils rapidement dissuadés. Et pourquoi,
pouvait-on aussi se demander, semblaient-ils si pressés ? Dans l’infinité
du désert, personne ne se presse.
Mais ces hommes ne comptaient apparemment faire halte
à l’oasis que le temps de se
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