Vers l'orient
attentif, les Karauna auraient réussi à s’approcher et
à sévir sans se faire repérer. Quelque chose me frappa à l’arrière de la tête,
si rudement que le noir de la nuit qui m’environnait me parut un instant plus
noir encore. Après quoi, la première chose dont j’eus vaguement conscience fut
d’être douloureusement traîné par les cheveux sur l’herbe et sur le sable.
Je fus tiré jusqu’à l’endroit où le feu était en train
d’être réactivé, mais ce n’était pas par l’un d’entre nous. Ces intrus avaient
un physique qui rendait les Mongols reçus quelques heures plus tôt aussi
élégants et raffinés, par comparaison, que des mignons de cour. Au nombre de
sept, ces individus étaient crasseux, vêtus de haillons et d’autant plus
affreux qu’alors même qu’ils ne souriaient pas leurs dents aussi pourries que
mal alignées demeuraient apparentes. Ils étaient tous équipés d’un cheval de
petite race mongole, mais les leurs étaient efflanqués, on leur voyait les
côtes, et ils étaient couverts de pustules et de plaies. Bien que je fusse
passablement étourdi, je notai en outre qu’ils n’avaient pas d’oreilles.
L’un des maraudeurs était occupé à ranimer le feu, les
autres y amenaient mes compagnons, et tous parlaient haut et fort dans un
langage que je ne connaissais pas. Seul Narine semblait comprendre leurs
paroles, et bien que, comme nous tous, il eût été assommé puis tiré d’un coup
sec de son lit et qu’il fut consumé de terreur, il prit la peine de nous les
traduire, criant à la cantonade :
— Ce sont les Karauna ! Ils sont
mortellement affamés et promettent de ne pas nous tuer si nous leur donnons à
manger. Je vous en prie, mes maîtres, au nom d’Allah, employez-vous à leur
fournir quelque nourriture !
Les Karauna nous déposèrent près du feu, puis ils se
ruèrent vers la source pour y puiser l’eau à pleines mains, la buvant avec
frénésie. Obéissant à l’injonction faite par l’esclave, mes père et oncle
déballèrent les provisions sans tergiverser. Toujours allongé sur le sol, je
secouais la tête, m’efforçant d’en chasser la douleur, la noirceur et le
bourdonnement qui y persistaient. Narine, plus obséquieux que jamais bien qu’à
moitié mort de trouille, faisait mine de s’empresser de son mieux tout en
continuant à vociférer :
— Ils affirment qu’ils ne voleront ni ne tueront
pas les quatre personnes que nous sommes. Il est évident qu’ils mentent
et le feront quand même, mais pas avant que tous les quatre, nous les ayons
nourris. Implorons donc Allah que nous ayons de quoi le faire tant que nous
pourrons ! Tous les quatre !
Encore affaibli par le tumulte qui résonnait dans ma
tête, je supposai qu’il me suggérait instamment de me remuer un peu et de faire
preuve de solidarité. Je fis donc mon possible pour me relever et me démenai de
façon à verser des abricots secs dans un pot rempli d’eau, afin de les
réhydrater. J’entendis alors oncle Matteo s’écrier à son tour :
— Soumettons-nous, tous les quatre ! Ensuite, quand ils seront en train de s’empiffrer, nous pourrons toujours, à
quatre, essayer de récupérer nos épées pour engager le combat.
Je finis par saisir ce que lui et Narine essayaient de
nous faire comprendre. Quand les Karauna avaient surgi du néant, ils avaient vu
quatre tentes, en avaient extrait quatre hommes et avaient à présent quatre
prisonniers à leur disposition, en train d’exécuter leurs ordres. Tout cela
parce que j’avais pris Aziz dans ma tente. Lorsqu’ils m’avaient attrapé et tiré
de la mienne, il aurait dû suivre, comme attaché à moi, mais cela n’avait pas
été le cas. Il avait dû se rendre compte de ce qui se passait et se tenait sans
doute caché, à moins que... Mais non, il était courageux. Il pourrait peut-être
tenter une manœuvre désespérée...
L’un des Karauna nous rugissait littéralement aux
oreilles. Sa soif étanchée, il semblait prendre le plus vif plaisir à nous voir
nous comporter à son égard comme d’humbles esclaves. Tel un conquérant
victorieux, il battit la poitrine de ses poings et mugit un long récit, que
Narine traduisit d’une voix tremblante :
— Ils ont été si ardemment poursuivis qu’ils
étaient presque morts de soif et de faim. Ils ont dû plusieurs fois ouvrir les
veines de leurs chevaux pour en aspirer le sang. Mais les bêtes sont elles-mêmes
devenues si faibles
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