Vers l'orient
qu’ils ont fait. Tous ces hommes avaient eu, pour des raisons religieuses,
leurs organes d’enfants mutilés. Une fois arrivés à maturité, leur plaisir
sexuel s’en était trouvé diminué, en raison même de la mutilation qu’ils
avaient subie. C’est pour cette raison qu’ils ont décrété dans leurs
livres saints que le sexe ne devait pas servir pour le plaisir, mais seulement
à des fins de procréation, étant, dans tous ses autres usages, matière à honte
et à péché.
— Bon maître, persista Narine, il ne nous manque
que le prépuce, nous ne sommes tout de même pas amputés comme des
eunuques !
— Toute mutilation est une privation, rétorqua
oncle Matteo. (Il lâcha les rênes de son chameau pour se gratter le coude.) Les
sages de l’ancien temps, ayant compris que la rognure de leur membre viril
avait émoussé leurs sensations, et de là leur plaisir, enviaient ceux qui ne
l’avaient pas subie et craignaient qu’ils trouvassent dans le sexe plus de
satisfaction qu’eux. La misère n’aime pas se sentir seule, aussi rédigèrent-ils
leurs écrits de façon à s’assurer une abondante compagnie. D’abord celle des
juifs, puis celle des chrétiens – les Évangélistes et les premiers chrétiens
n’étant que des juifs convertis –, enfin Mahomet et les sages musulmans qui lui
ont succédé. Tous étant circoncis, leurs dissertations sur le sexe
s’apparentent finalement au chant d’un sourd.
Mon père semblait aussi choqué que Narine.
— Matteo, le mit-il en garde, à la surface de ce
désert ouvert, nous sommes terriblement exposés aux impacts de la foudre. Ton
esprit critique ajoute certes à ma culture, mais tu serais gentil de te
modérer.
Indifférent à cet avertissement, mon oncle continua :
— Dans leur acharnement à mettre des entraves à
la sexualité humaine, ils me font penser à des infirmes occupés à rédiger les
règles d’une compétition sportive.
— Des infirmes, maître ? s’étonna Narine.
Mais enfin, comment auraient-ils pu savoir qu’ils l’étaient ? Vous
postulez que mes sensations ont été émoussées. N’ayant aucune mesure extérieure
pour étalonner mon plaisir, je me demande comment quelqu’un d’autre pourrait le
faire à ma place. Je ne vois qu’une personne qualifiée pour en juger par
elle-même : un homme qui aurait expérimenté la chose, pour ainsi dire, avant et après. Pardonnez-moi mon impertinence, maître Matteo, peut-être
n’avez-vous été circoncis qu’après la première moitié de votre vie ?
— Insolent infidèle ! Je ne l’ai jamais été !
— Ah. Eh bien, à part ce genre d’homme, je ne
vois guère qu’une femme pour se prononcer sur la question. Une femme qui
aurait satisfait ces deux sortes d’hommes, le circoncis et le non circoncis, en
prêtant une extrême attention à l’intensité de leur plaisir.
Je tressaillis à cette remarque. Que Narine eût parlé
ainsi avec une insidieuse malice ou qu’il l’eût fait par pure ingénuité, ses
mots recoupaient de très près la véritable nature d’oncle Matteo et sa probable
expérience. Je jetai un coup d’œil inquiet sur ce dernier, craignant qu’il ne
se mît à rougir, à fulminer ou carrément à casser la figure de Narine, avant de
confesser tout à trac ce qu’il avait jusqu’alors dissimulé. Mais il laissa
passer cette apparente insinuation comme s’il n’y avait pas prêté attention et
se contenta de songer à voix haute :
— Si j’avais le choix, je chercherais une
religion où les écritures ne sont pas dues à des hommes dont la virilité a été
rituellement mutilée dès le plus jeune âge.
— Là où nous nous rendons, certaines de ces
religions existent, fit remarquer mon père.
— C’est ce que je me suis laissé dire, confirma
mon oncle d’un air entendu. C’est pourquoi je me demande comment chrétiens,
juifs et musulmans peuvent oser qualifier les peuples de l’Orient de
« barbares ».
— Le voyageur qui a vu, en de lointaines
contrées, des rubis et des perles véritables peut à bon droit sourire quand il
voit chérir par ses congénères, rentré dans son pays natal, de malheureux
cailloux. Peut-on appliquer ce raisonnement aux religions locales ? C’est
ce que je ne saurais affirmer, n’étant pas théologien. Mais il ajouta, d’un ton
soudain beaucoup plus solennel et coupant : Ce que je sais, en revanche,
c’est que, situés en ce moment même sous les deux des
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