Vers l'orient
implorèrent mon indulgence, avant de m’indiquer avec
obséquiosité qu’il s’agissait là de « sel de mer ». L’ayant goûté, je
ne lui trouvai pas la moindre différence avec le sel ordinaire et j’éclatai de
nouveau de rire. Aussi estimèrent-ils utile de compléter leurs explications :
le sel de mer avait des propriétés qui manquaient à tous les autres aliments.
Le fait d’en saupoudrer sa nourriture empêchait le consommateur de développer
un goitre, et cela valait bien, pensaient-ils, la peine qu’ils s’étaient donnée
de le remonter d’aussi loin.
— Du sel magique, en somme ? m’esclaffai-je.
J’avais eu l’occasion de voir nombre de ces affreux
goitres et doutais que l’absorption d’une petite pincée de sel pût suffire à
les résorber. Secoué par l’hilarité face à cette folle crédulité, je les
laissai passablement perplexes.
Les animaux de bât, de trait et les diverses montures
éparpillées dans les corrals en bordure du lac étaient aussi variés que leurs
propriétaires. Il y avait là des troupeaux entiers de chevaux et d’ânes, bien
sûr, ainsi que de jolies mules. Mais les nombreux chameaux que l’on observait
ici n’avaient rien de commun avec ceux que nous avions vus et utilisés pour
traverser le désert. Plus petits, affublés de pattes plus courtes, ils étaient
aussi plus corpulents, et leur long pelage leur donnait un air encore plus
solennel. Ils possédaient également une crinière, à la façon des chevaux, mais
qui, loin de leur parcourir l’encolure depuis le haut, ne débutait qu’à la
naissance du dos. Cela dit, la différence la plus frappante était qu’ils
possédaient deux bosses au lieu d’une ; ils étaient par conséquent
beaucoup plus faciles à monter, la large déclivité qui séparait les deux
éminences formant une selle naturelle. Ces chameaux de Bactriane s’adaptaient
beaucoup mieux, m’expliqua-t-on, aux rudes conditions hivernales et aux fortes
pentes des terrains montagneux, le chameau conservant quant à lui l’avantage
face à la chaleur et à la soif.
Une autre nouveauté pour moi fut l’animal
qu’utilisaient les Bho pour transporter leurs marchandises et qu’ils appelaient
le yyag, universellement prononcé par les autres peuples yack. Cette
massive créature possède, aux deux extrémités d’un corps qui a à peu près la
taille, la forme et la texture d’une botte de foin, une tête de vache et une queue
de cheval. Sa hauteur peut atteindre celle de l’épaule d’un homme, mais il
porte la tête très bas, pas loin du niveau du genou. Son poil rude, ébouriffé,
de couleur noire, grise ou tachée noir et blanc, traîne au sol de tous côtés,
cachant des sabots presque frêles pour leur masse mais incroyablement précis
dans leur placement sur les étroites et dangereuses pistes de montagne. Le yack
grogne comme le cochon et grince continuellement des dents durant sa marche
nonchalante, qu’il exécute en traînant des pieds.
J’appris par la suite que la viande de yack était
aussi goûteuse que celle du bœuf, mais aucun des éleveurs présents à Buzai
Gumbad n’en sacrifia un durant notre séjour. Les Bho buvaient aussi le lait des
femelles, dont la traite requiert une certaine bravoure vu la taille immense de
ces animaux et leur caractère imprévisible, toujours susceptible d’une saute de
mauvaise humeur. Ce lait, si abondant que les Bho en offraient volontiers à qui
leur en demandait, était délicieux, et le beurre qu’on en tirait eût été un
mets de choix s’il n’avait été parsemé jusqu’en profondeur, raffinement fort
regrettable, de poils de yack. Cet animal fournit encore des articles d’une
utilité incontestable : son poil tissé donne des tentes si solides
qu’elles peuvent résister aux plus fortes tempêtes de vent des montagnes, et
ceux de sa crinière, plus fins, finissent en parfaits fouets à mouches.
Parmi les animaux de plus petite taille présents à
Buzai Gumbad, je pus voir de nombreuses perdrix à pattes rouges. Ailleurs, j’en
avais déjà observé à l’état sauvage, mais celles-ci avaient les ailes attachées
pour qu’elles ne puissent s’envoler. Comme les enfants du camp jouaient souvent
à cache-cache avec ces oiseaux, je les pris dans un premier temps pour des
animaux de compagnie ou des chasseurs d’insectes, gardés pour débarrasser les
tentes de la vermine qui avait tendance à les infester, mais je ne tardai pas à
apprendre que
Weitere Kostenlose Bücher