Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
États-Unis, et les articles de confédération qui les lient les uns aux autres, sous la direction d'une assemblée générale, appelée Congrès. Ces constitutions ont été imprimées en Amérique, par ordre du congrès. L'on en a fait deux éditions à Londres, et la traduction française en a été publiée dernièrement à Paris.
Depuis quelque temps, divers princes de l'Europe, croyant qu'il y auroit de l'avantage pour eux à multiplier les manufactures dans leurs états, de manière à diminuer l'importation des marchandises étrangères, ont cherché à attirer des ouvriers des autres pays, en leur accordant de gros salaires et des privilèges.
—Beaucoup de personnes, qui prétendent être très-habiles dans divers genres de manufactures précieuses, s'imaginant que l'Amérique devoit avoir besoin d'elles, et que le congrès seroit probablement disposé à imiter les princes dont je viens de faire mention, lui ont proposé de se rendre dans les États-Unis, à condition qu'il paieroit leur passage et qu'il leur donneroit des terres, des appointemens, et des privilèges pour un certain nombre d'années. Mais si ces personnes lisent les articles de la confédération des États-Unis, elles verront que le congrès n'a ni le pouvoir ni l'argent nécessaire pour faire ce qu'elles désirent. Si de tels encouragemens peuvent avoir lieu, ce n'est que de la part du gouvernement de quelqu'un des états. Cependant, cela arrive rarement en Amérique ; et quand on l'a fait, le succès a souvent mal répondu aux espérances. On a vu que le pays n'étoit pas encore assez avancé pour engager des particuliers à y établir des manufactures. La main-d'œuvre y est communément trop chère ; il est trop difficile d'y rassembler des journaliers, parce que chacun veut y travailler pour son compte ; et le bas prix des terres y excite beaucoup d'ouvriers à abandonner leur métier pour s'adonner à l'agriculture.
Le peu de manufactures qui y ont réussi, sont celles qui exigent peu de bras, et dans lesquelles la plus grande partie du travail se fait avec des machines. Les marchandises trop volumineuses, et qui ne sont pas d'un prix assez considérable pour supporter les dépenses du fret, peuvent être faites dans le pays et vendues à meilleur marché, que lorsqu'on les y transporte. Mais ce ne sont que ces sortes d'objets qu'il est avantageux d'y fabriquer lorsqu'on en trouve le débit.
Les fermiers américains ont tous les ans beaucoup de laine et de lin : mais au lieu d'en exporter, on emploie le tout dans le pays. Chaque fermier a chez lui sa petite manufacture pour l'usage de sa famille. L'on a essayé, dans plusieurs provinces, d'acheter une grande quantité de laine et de lin, pour les faire filer et tisser, et former des établissemens où l'on pût vendre beaucoup de toile et d'étoffes de laine : mais ces projets n'ont presque jamais réussi, parce que les marchandises pareilles qui viennent de l'étranger, sont moins chères.
Lorsque le gouvernement a été invité à soutenir ces établissemens, par des encouragemens, par des avances de fonds, ou en mettant des impôts sur l'importation des marchandises étrangères, il a presque toujours refusé ; car il a pour principe que si le pays est déjà en état d'avoir des manufactures, des particuliers trouveront assez d'avantage à les entreprendre ; et que s'il ne l'est pas encore, c'est une folie de vouloir forcer la nature.
L'établissement de grandes manufactures exige qu'il y ait un grand nombre de pauvres ouvriers, qui travaillent pour un faible salaire. Il peut y avoir de ces pauvres ouvriers en Europe : mais il ne s'en trouvera point en Amérique, jusqu'à ce que toutes les terres soient occupées et cultivées, et qu'il y ait un surcroît de population, qui, ne pouvant avoir de terres, manque de travail.
Les manufactures de soieries sont, dit-on, naturelles en France, comme celles de drap en Angleterre ; parce que chacun de ces pays produit abondamment les matières premières. Mais si l'Angleterre vouloit fabriquer des soieries, comme elle fabrique des draps, et la France fabriquer des draps, comme elle fabrique des soieries, ces entreprises contre nature auroient besoin d'être soutenues par des prohibitions mutuelles, ou par des droits considérables mis sur les marchandises importées d'un de ces états dans l'autre.
Par ce moyen les ouvriers feroient payer un plus haut prix aux consommateurs, tandis que le surcroît de salaires qu'ils
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