Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
long-temps, car la nation anglaise prétendoit avoir le droit de porter chez nous, non-seulement les superfluités de son pays, mais celles de toutes les autres contrées de la terre. Nous les achetions, nous les consommions ; et cependant nous avons prospéré et sommes devenus riches. À présent nos gouvernemens indépendans peuvent faire ce qui leur étoit alors impossible. Ils peuvent diminuer par des impôts considérables ou empêcher par une prohibition sévère, ces sortes d'importations ; et nous nous enrichirons davantage, si toutefois, et cela est incertain, le désir de nous parer de beaux habits, d'être bien meublés, d'avoir des maisons élégantes, ne doit pas, en excitant le travail et l'industrie, produire beaucoup plus que ne nous coûtent ces objets.
L'agriculture et les pêcheries des États-Unis sont les grandes sources de l'accroissement de nos richesses.
Celui qui sème un grain de bled, est peut-être récompensé de sa peine par quarante grains de bled que la terre lui rend ; et celui qui tire un poisson du sein de la mer, en retire une pièce d'argent.
Nous devons être attentifs à ces choses-là, et nous le serons sans doute. Alors, les puissances rivales, avec tous leurs actes prohibitifs, ne pourront pas beaucoup nous nuire. Nous sommes les enfans de la terre et des mers, et semblables à l'Antée de la fable, si en luttant avec un Hercule nous avons quelquefois le dessous, le seul attouchement de nos parens nous rendra la force de renouveler le combat.
AVIS À CEUX QUI VEULENT ALLER S'ÉTABLIR EN AMÉRIQUE.
Plusieurs personnes en Europe, sachant que l'auteur de cet avis connoît très-bien l'Amérique septentrionale, lui ont parlé ou écrit pour lui communiquer l'intention où elles sont d'aller s'y établir. Mais il lui semble qu'elles ont formé ce projet par ignorance, et en se fesant de fausses idées de ce qu'on peut se procurer dans le pays où elles veulent se rendre. Ainsi, il croit devoir donner ici quelques notions plus claires que celles qu'on a eues jusqu'à présent sur cette partie du monde, afin de prévenir l'émigration et les voyages dispendieux et infructueux de ceux à qui ne conviennent pas de pareilles entreprises.
Beaucoup de gens s'imaginent que les habitans des États-Unis de l'Amérique sont riches, en état de faire de la dépense, et disposés à récompenser toute sorte de talens ; mais qu'en même-temps ils ne connoissent point les sciences, et que par conséquent des étrangers, qui possèdent la littérature et les beaux-arts, doivent être très-estimés dans ces contrées, et assez bien payés pour y devenir bientôt riches. On croit aussi qu'il y a beaucoup d'emplois lucratifs que les gens du pays ne sont pas propres à remplir ; et que comme peu de personnes y sont d'une noble origine, les étrangers qui portent un nom distingué doivent y être très-respectés, obtenir les meilleures places et y faire fortune.—On va jusqu'à se flatter que, pour encourager l'émigration des Européens, les divers gouvernemens des États-Unis, non-seulement payent le voyage de ceux qui viennent pour s'établir chez eux, mais leur font présent à leur arrivée, de terres, de nègres, de bétail et d'instrumens de labourage.
Toutes ces choses-là sont imaginaires ; et ceux qui fondent leurs espérances sur cela, et passent en Amérique, sont sûrement bien trompés.
La vérité est que quoique dans ce pays il y ait très-peu de gens aussi misérables que les classes pauvres d'Europe, il y en a aussi très-peu qu'on pût regarder en Europe comme riches. On y trouve plutôt une heureuse et générale médiocrité. On y voit peu de grands propriétaires de terres, et peu de fermiers qui cultivent les terres des autres. La plupart des Américains labourent leurs propres champs, exercent quelque métier ou font quelque commerce. Il en est très-peu d'assez riches pour vivre dans l'oisiveté, et pour payer aussi chèrement, qu'on le fait en Europe, les tableaux, les statues, l'architecture et les autres productions des arts, qui sont plus curieuses qu'utiles. Aussi ceux qui sont nés en Amérique avec le goût de cultiver ces arts, ont communément quitté leur patrie, et sont allés s'établir en Europe, où ils pouvoient être mieux récompensés.
Certes, la connoissance des belles-lettres et de la géométrie est très-estimée dans les États-Unis ; mais elle y est, en même-temps, plus commune qu'on ne le pense. Il y a déjà neuf grands colléges ou
Weitere Kostenlose Bücher