Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
universités ; savoir quatre à la Nouvelle-Angleterre [La province de Massachusett, dont Boston est la capitale. (Note du Traducteur.)], et un dans chacune des provinces de New-York, de New-Jersey, de Pensylvanie, de Maryland et de Virginie. Ces universités ont des professeurs très-savans. Il y a, en outre, un grand nombre de petits colléges, ou d'écoles ; et l'on apprend à beaucoup de jeunes gens les langues, la théologie, la jurisprudence et la médecine.
Il n'est nullement défendu aux étrangers d'exercer ces professions ; et le rapide accroissement de la population dans toutes les parties des États-Unis, leur promet une occupation qu'ils peuvent partager avec les gens du pays. Il y a peu d'emplois civils, et il n'y en a point d'inutile comme en Europe.
D'ailleurs, l'on a établi pour règle, dans quelques-unes de nos provinces, qu'aucune place ne seroit assez lucrative, pour tenter la cupidité de ceux qui voudroient la remplir. Le trente-sixième article de la constitution de Pensylvanie, dit expressément :—«Comme pour conserver son indépendance, tout homme libre, qui n'a point une propriété suffisante, doit avoir quelque profession, métier, commerce ou ferme qui le fasse subsister honnêtement, il n'est pas nécessaire de créer des emplois lucratifs ; parce que leur effet ordinaire est d'inspirer à ceux qui les possèdent ou qui les postulent, un esprit de dépendance et de servitude, indigne d'hommes libres. Ainsi, toutes les fois que les émolumens d'un emploi augmenteront au point de le faire désirer à plusieurs personnes, il faudra que la législature en diminue les profits.»
Ces idées ont été plus ou moins adoptées par tous les États-Unis. Or, il ne vaut pas la peine qu'un homme, qui a quelque moyen de vivre chez lui, s'expatrie dans l'espoir d'obtenir une place avantageuse en Amérique. Quant aux emplois militaires, il n'y en a plus depuis la fin de la guerre, puisque les armées ont été licenciées.
Il convient encore moins d'aller dans les États-Unis, lorsqu'on n'a à y porter qu'une naissance illustre. En Europe, cela peut être de quelque prix : mais une pareille marchandise ne peut être offerte dans un plus mauvais marché qu'en Amérique, où, en parlant d'un étranger, les habitans demandent, non pas qui il est, mais ce qu'il sait faire. S'il a quelque talent utile, il est bien accueilli ; et s'il exerce son talent et qu'il se conduise bien, il est respecté par tous ceux qui le connoissent. Mais celui qui n'est qu'homme de qualité, et qui, par rapport à cela, veut obtenir un emploi et vivre aux dépens du public, est rebuté et méprisé.
Le laboureur et l'artisan sont honorés en Amérique, parce que leur travail est utile.
Les habitans y disent que Dieu lui-même est un artisan, et le premier de l'univers ; et qu'il est plus admiré, plus respecté, à cause de la variété, de la perfection, de l'utilité de ses ouvrages, que par rapport à l'ancienneté de sa famille.—Ils aiment beaucoup à citer l'observation d'un nègre, qui disoit :—«Boccarorra [C'est-à-dire l'homme blanc.] fait travailler l'homme noir, le cheval, le bœuf, tout, excepté le cochon.—Le cochon mange, boit, se promène, dort quand il veut, et vit comme un gentilhomme.»—
D'après cette façon de penser des Américains, l'un d'entr'eux croiroit avoir beaucoup plus d'obligation à un généalogiste qui pourroit lui prouver que, depuis dix générations, ses ancêtres ont été laboureurs, forgerons, charpentiers, tourneurs, tisserands, taneurs, même cordonniers, et que conséquemment ils étoient d'utiles membres de la société, que s'il lui démontroit qu'ils étoient seulement nobles, ne fesant rien de profitable, vivant nonchalamment du travail des autres, ne sachant que consommer les fruits de la terre [. . . . . . . . . . Born
Merely to eat up the corn.
Wotts.], et n'étant enfin propres à rien, jusqu'à ce qu'à leur mort, leurs biens ont été dépecés comme le cochon gentilhomme du nègre.
Quant aux encouragemens que le gouvernement donne aux étrangers, ils ne sont réellement que ce qu'on doit attendre de la liberté et des loix sages. Les étrangers sont bien reçus en Amérique, parce qu'il y a assez de place pour tous ; et les habitans n'en sont point jaloux. Les loix les protégent assez, pour qu'ils n'aient besoin de l'appui d'aucun homme en place ; et chacun d'eux peut jouir en paix du produit de son industrie.
Mais s'ils n'apportent point de fortune,
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