Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
totalité du prix de ces objets est bien un impôt payé à l'Angleterre.
Nous avons considérablement augmenté la consommation des marchandises anglaises, ce qui, dans les dernières années, en a fait beaucoup hausser le prix. C'est un bénéfice clair pour l'Angleterre ; ses habitans en ont plus de facilité à supporter leurs taxes ; et comme nous y contribuons beaucoup, c'est un impôt que nous payons à l'Angleterre.
Enfin, comme il ne nous est permis ni de régler notre commerce, ni d'arrêter l'importation et la consommation des superfluités anglaises, ce que l'Angleterre peut faire pour les superfluités des pays étrangers, toutes nos richesses finissent par passer dans les mains des marchands et des habitans de la Grande-Bretagne ; et puisque nous les enrichissons, et que nous les mettons plus en état de payer leurs impôts, c'est comme si nous étions taxés nous-mêmes, et tout aussi avantageux à la couronne.
Cependant, nous ne nous plaignons point de ces espèces de taxes secondaires, quoique nous ne participions point à la manière dont on les impose.
Mais payer des taxes directes et très-fortes, sans avoir aucune part à leur établissement, taxes qui peuvent nous sembler aussi inutiles qu'onéreuses, c'est sans doute, une mesure trop cruelle pour des Anglais, qui ne peuvent croire qu'en hasardant leur fortune et leur vie pour conquérir, défricher des contrées nouvelles, et étendre l'empire et le commerce de leur patrie, ils ont perdu leurs droits naturels. Ils pensent, au contraire, que leurs entreprises et leurs travaux leur auroient mérité ces droits, s'ils avoient été auparavant dans un état d'esclavage.
Voilà, j'imagine, ce que diront les habitans des colonies, si les changemens proposés dans le plan d'Albany, ont lieu. Alors, les gouverneurs et les conseils n'ayant point de représentans du peuple pour approuver leurs mesures, y concourir et les rendre agréables aux colons, verront bientôt leur administration devenir suspecte et odieuse. Des haines, des discordes naîtront entre les gouvernans et les gouvernés, et tout sera bientôt en confusion.
Peut-être ai-je trop de craintes à cet égard : mais à présent que je vous ai communiqué, avec franchise, ma façon de penser, Votre Excellence peut juger mieux que moi, si j'ai raison. Et le peu de temps que j'ai eu pour composer cette lettre, doit, j'espère, excuser en partie son imperfection.
Je suis, etc.
B. Franklin.
Au même
Boston, le 22 décembre 1754.
Depuis la conversation que j'ai eue avec Votre Excellence, sur le moyen d'unir plus intimement les colonies à la Grande-Bretagne, en leur accordant des représentans au parlement, j'ai réfléchi encore sur ce sujet, et je pense qu'une telle union seroit très-agréable aux colonies, pourvu qu'on leur accordât un nombre convenable de représentans.
Il faudroit aussi qu'on révoquât les anciens actes du parlement, qui bornent le commerce des colonies, et empêchent qu'on n'y établisse des manufactures. Il faudroit enfin, que les sujets de l'Angleterre, qui habitent en-deçà de la mer, eussent, à cet égard, les mêmes droits que ceux qui vivent dans la Grande-Bretagne, jusqu'à ce que le nouveau parlement jugeât qu'il est de l'intérêt général de rétablir quelques-uns ou même tous les actes prohibitifs.
En vous parlant d'un nombre convenable de représentans des colonies, je n'imagine pas que ce nombre doive être si considérable qu'il puisse avoir beaucoup d'influence dans le parlement ; mais je pense qu'il doit l'être assez pour faire considérer avec plus d'attention et d'impartialité les loix qui auront rapport aux colonies ; et peut-être aussi pour contre-balancer les sentimens particuliers d'une petite corporation ou d'une troupe d'ouvriers et de marchands, auxquels il semble jusqu'à présent qu'on a eu plus d'égard qu'à toutes les colonies ; de sorte qu'on leur a sacrifié l'intérêt général et l'avantage de la nation.
Je pense aussi que si les colonies étoient gouvernées par un parlement, dans lequel elles seroient loyalement représentées, les habitans préféreroient beaucoup ce gouvernement, à la méthode qu'on a dernièrement essayé d'introduire par des instructions royales ; parce qu'il est bien plus conforme à la nature de la constitution anglaise et à la liberté. Les mêmes loix, qui semblent à présent peser cruellement sur les colonies, paroîtroient douces et faciles à exécuter, si un parlement où il y auroit
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