Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
ajouter un mot au sujet des mesures cruelles auxquelles nous ont entraînés nos malheureuses disputes. Les dépêches officielles, que j'ai recommandé de vous faire passer avec cette lettre, vous apprendront la nature de ma mission. Plein du désir que j'ai toujours témoigné, de voir terminer nos différens, j'espère que si je trouve dans les colonies les dispositions que j'y ai autrefois vues, je pourrai seconder efficacement la sollicitude paternelle du roi, pour le rétablissement de l'union et d'une paix durable entre les colonies et l'Angleterre.
Mais si les préjugés de l'Amérique sont trop profondément enracinés, et que la nécessité d'empêcher son commerce de passer dans des canaux étrangers nous divise encore, je regretterai sincèrement, et par amour du bien public, et par toute sorte de motifs particuliers, que ce ne soit pas le moment où l'on puisse ramener cette paix, l'un des plus grands objets de mon ambition. Je serai aussi très-affligé d'être encore privé de l'occasion de vous assurer personnellement de toute l'estime que j'ai pour vous.
Howe.
À la vue de Sandy-Hook, le 12 juillet.
P. S. Je n'ai pu vous envoyer cette lettre le jour qu'elle a été écrite. Des calmes et des vents contraires m'ont même empêché d'apprendre au général Howe que j'ai la satisfaction d'être chargé d'une mission pacifique, et qu'il doit la remplir avec moi.
RÉPONSE DE BENJAMIN FRANKLIN À LORD HOWE.
Philadelphie, le 30 juillet 1776.
J'ai reçu les lettres que Votre Excellence a bien voulu me faire passer, et dont je vous prie d'agréer mes remerciemens.
Les dépêches officielles, dont vous me parlez, ne contiennent rien de plus que ce que nous avons vu dans l'acte du parlement, c'est-à-dire, des offres de pardon si nous nous soumettons. J'en suis véritablement fâché ; car il est très-désagréable pour Votre Excellence d'être envoyée si loin de sa patrie pour une mission aussi inutile.
Recommander d'offrir un pardon aux colonies, qu'on a outragées, c'est, en vérité, montrer qu'on nous croit encore l'ignorance, la bassesse, l'insensibilité que votre aveugle et orgueilleuse nation s'est long-temps plu à nous supposer. Mais cette offre ne peut avoir d'autre effet que d'accroître nos ressentimens.
Il est impossible que nous songions à nous soumettre à un gouvernement, qui, avec la plus insigne barbarie, a, dans le fort de l'hiver, brûlé nos villes sans défense, excité les Sauvages à massacrer nos paisibles cultivateurs, nos esclaves à assassiner leurs maîtres, et nous envoie en ce moment même des stipendiaires étrangers pour inonder de sang nos établissemens.
Ces atrocités ont éteint la dernière étincelle d'affection, que nous avions pour une mère-patrie, qui nous fut jadis si chère. Mais quand il nous seroit possible d'oublier et de pardonner les injures que nous en avons reçues, vous ne pourriez pas, vous Anglais, pardonner à un peuple que vous avez si cruellement offensé ; vous ne pourriez jamais le regarder encore comme fesant partie du même empire que vous, et lui permettre de jouir d'une liberté à l'occasion de laquelle vous savez que vous lui avez donné de justes sujets d'inimitié.
Si nous étions encore sous le même gouvernement que vous, le souvenir du mal que vous nous avez fait, vous engageroit à nous accabler de la plus cruelle tyrannie, et à employer toute sorte de moyens pour nous empêcher d'acquérir de la force et de prospérer.
Mais Votre Excellence me parle de «la sollicitude paternelle du roi, pour le rétablissement de l'union et d'une paix durable entre les colonies et l'Angleterre».—Si, par la paix, vous entendez celle qui doit avoir lieu entre deux états différens, qui sont maintenant en guerre, et que sa majesté vous ait donné le pouvoir de traiter avec nous, d'une telle paix, j'ose vous dire, quoique je n'y sois nullement autorisé, que je crois que cela ne sera pas impraticable, avant que nous ayons contracté des alliances étrangères.
Si votre nation punissoit les gouverneurs des colonies, qui ont fomenté la discorde entr'elle et nous, rebâtissoit nos villes brûlées, et réparoit le mieux qu'il lui seroit possible, les torts qu'elle nous a faits, elle recouvreroit en partie notre estime, profiteroit beaucoup de notre commerce qui s'accroît sans cesse, et se fortifieroit encore de notre amitié. Mais je connois trop bien son orgueil et sa folie pour croire qu'elle veuille prendre des mesures aussi salutaires. Sa
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