Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
participer à la nomination du grand-conseil, et de le faire taxer par le parlement d'Angleterre, où il n'est point représenté, n'occasionne beaucoup de mécontentement.
Il est très possible que ce gouvernement général soit aussi bien, aussi fidèlement administré sans que le peuple s'en mêle, qu'avec lui : mais lorsqu'on lui a imposé de pesans fardeaux, on a toujours trouvé utile de faire en sorte que cette imposition parût en partie son ouvrage, attendu qu'il la supporte beaucoup mieux lorsqu'il croit qu'elle vient de lui, et que quand quelques mesures publiques lui semblent injustes ou désagréables, les roues du gouvernement ont de la peine à marcher.
Au même.
Mercredi matin.
Je communiquai hier à Votre Excellence, mon opinion sur le mécontentement que doit exciter l'envie d'empêcher le peuple de participer à l'élection des membres du grand-conseil, et de le faire taxer par un acte du parlement, sans qu'il y ait des représentans.
—Lorsqu'il s'agit de l'intérêt général du peuple, et sur-tout lorsqu'on doit lui imposer des charges, il ne faut pas moins considérer ce qu'il sera disposé à penser et à dire que ce qu'il est de son devoir de penser. Je vais donc, pour obéir à Votre Excellence, lui faire brièvement part des idées qui me sont venues à cette occasion.
On dira peut-être avec raison ;
1o. Que les habitans des colonies ont autant de loyauté et sont aussi attachés à la constitution anglaise et à la famille règnante, que tous les autres sujets du roi.
2o. Qu'il n'y a aucun doute que si les colonies avoient des représentans au parlement, ces représentans ne manqueroient ni de bonne volonté, ni d'empressement à accorder les secours qu'on jugeroit nécessaires pour la défense du pays.
3o. Que les habitans des colonies, qui doivent sentir tout le danger d'une invasion de la part de l'ennemi, puisque la perte de leurs propriétés, de leur vie, de leur liberté, pourroient en être la suite, doivent aussi mieux juger que le parlement d'Angleterre, qui est très-éloigné d'elles, de la quantité de troupes à lever et à entretenir sur leurs frontières, des forteresses à y bâtir, et des moyens qu'ils ont de supporter ces dépenses.
4o. Que souvent les gouverneurs ne viennent dans les colonies que dans l'intention d'acquérir une fortune pour l'emporter en Angleterre ; qu'ils ne sont pas toujours des hommes capables et intègres ; que plusieurs d'entr'eux n'ont ni des propriétés dans le pays, ni des relations avec nous, qui puissent leur faire prendre à cœur notre bien-être ; et qu'ils peuvent fort bien désirer de tenir sur pied plus de forces qu'il n'en faut, afin d'augmenter leurs profits et de favoriser leurs amis et leurs créatures.
5o. Que dans la plupart des colonies les conseillers étant nommés par le roi, d'après la recommandation du gouverneur, ils ne possèdent ordinairement que très-peu de propriétés, dépendent du gouverneur pour leurs emplois, et sont, par conséquent, trop soumis à leur influence.
6o. Qu'il y a grande raison de se défier du pouvoir que les gouverneurs et les conseils ont de lever les sommes qu'ils jugent à propos, en tirant des mandats sur les lords de la trésorerie, pour qu'un acte du parlement taxe ensuite les colonies et les oblige à payer ces sommes ; que les gouverneurs et les conseils peuvent abuser de ce droit, en formant des projets d'expéditions vaines, en fatigant le peuple et l'arrachant à son travail, pour lui faire exécuter ces projets, et en créant des emplois, pour les donner à leurs partisans et en partager les profits.
7o. Que le parlement d'Angleterre étant à une grande distance des colonies, peut être mal informé et égaré par les gouverneurs et les conseils, qui, réunis d'intérêts, doivent probablement rendre vaines toutes les plaintes que les colons peuvent former contre eux.
8o. Que tout anglais a le droit incontestable de n'être taxé que d'après le consentement qu'il en donne par la voie de ses représentans.
9o. Que les colonies n'ont point de représentans dans le parlement.
10o. Que de proposer de les taxer par un acte du parlement, et de leur refuser la liberté d'élire un conseil représentatif pour s'assembler dans le pays, et juger de la nécessité des taxes et de la somme à laquelle elles doivent s'élever, c'est paroître soupçonner leur fidélité envers la couronne, leur attachement à leur patrie, et l'intégrité de leur bon sens ; injure qu'elles n'ont
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