Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
rendus familiers. Plein de cette idée, je mis en vers quelques-uns des contes, qu'on trouve dans le Spectateur ; et après les avoir suffisamment oubliés, je les remis en prose.
Quelquefois je mêlois tous mes sommaires ; et au bout de quelques semaines, je tâchois de les ranger dans le meilleur ordre, avant de commencer à former les périodes et à compléter les discours. Je fesois cela pour acquérir de la méthode dans l'arrangement de mes pensées. En comparant ensuite mon ouvrage avec l'original, je découvrois beaucoup de fautes, et je les corrigeois : mais j'avois par fois le plaisir de m'imaginer que dans certains passages de peu de conséquence, j'avois été assez heureux pour mettre plus d'ordre dans les idées et employer des expressions plus élégantes ; et cela me faisoit espérer que, par la suite, je parviendrois à bien écrire la langue anglaise, ce qui étoit un des grands objets de mon ambition.
Le temps que je consacrois à ces exercices et à la lecture, étoit le soir après le travail de la journée, le matin avant qu'il commençât, et le dimanche quand je pouvois m'empêcher d'assister au service divin. Tant que mon père m'avoit eu dans sa maison, il avoit exigé que j'allasse régulièrement à l'église.
Je le regardois même encore comme un devoir, mais un devoir que je ne croyois pas avoir le temps de pratiquer.
J'avois environ seize ans, lorsque je lus par hasard un ouvrage de Tryon, dans lequel il recommande le régime végétal. Je résolus de l'observer. Mon frère étant célibataire n'avoit point d'ordinaire chez lui. Il s'étoit mis en pension avec ses apprentis chez des personnes de son voisinage. Le parti que j'avois pris de m'abstenir de viande devint gênant pour ces personnes, et j'étois souvent grondé pour ma singularité. Je me mis au fait de la manière dont Tryon préparoit quelques-uns de ses mets, sur-tout de faire bouillir des pommes de terre et du riz, et de faire des poudings à la hâte. Après quoi je dis à mon frère que s'il vouloit me donner, chaque semaine, la moitié de ce qu'il payoit pour ma pension, j'entreprendrois de me nourrir moi-même. Il y consentit à l'instant ; et je trouvai bientôt le moyen d'économiser la moitié de ce qu'il m'allouoit.
Ces épargnes furent un nouveau fonds pour l'achat de livres ; et mon plan me procura encore d'autres avantages. Quand mon frère et ses ouvriers quittoient l'imprimerie pour aller dîner, j'y demeurois ; et après avoir fait mon frugal repas, qui n'étoit souvent composé que d'un biscuit, ou d'un morceau de pain, avec une grappe de raisin, ou, enfin, d'un gâteau pris chez le pâtissier et d'un verre d'eau, j'employois à étudier le temps qui me restoit jusqu'à leur retour. Mes progrès étoient proportionnés à cette clarté d'idées, à cette promptitude de conception, qui sont le fruit de la tempérance dans le boire et le manger.
Ce fut à cette époque qu'ayant eu un jour à rougir de mon ignorance dans l'art du calcul, que j'avois deux fois manqué d'apprendre à l'école, je pris le Traité d'Arithmétique de Cocker, et je l'appris seul avec la plus grande facilité.
Je lus aussi un livre sur la navigation, par Seller et Sturmy, et je me mis au fait du peu de géométrie qu'il contient : mais je n'ai jamais été loin dans cette science. À-peu-près dans le même temps, je lus l'Essai sur l'Entendement humain de Locke, et l'Art de Penser, de MM. de Port-Royal.
Tandis que je travaillois à former et à perfectionner mon style, je rencontrai une grammaire anglaise, qui est, je crois, celle de Greenwood, à la fin de laquelle il y a deux petits essais sur la rhétorique et sur la logique. Je trouvai dans le dernier un modèle de dispute selon la méthode de Socrate. Peu de temps après je me procurai l'ouvrage de Xenophon, intitulé : les Choses Mémorables de Socrate, ouvrage dans lequel l'historien grec donne plusieurs exemples de la même méthode. Charmé jusqu'à l'enthousiasme de cette manière de disputer, je l'adoptai ; et renonçant à la dure contradiction, à l'argumentation directe et positive, je pris le rôle d'humble questionneur.
La lecture de Shaftsbury et de Collins m'avoient rendu sceptique ; et comme je l'étois déjà sur beaucoup de points des doctrines chrétiennes, je trouvai que la méthode de Socrate étoit à la fois la plus sûre pour moi, et la plus embarrassante pour ceux contre lesquels je l'employois. Elle me procura bientôt un singulier plaisir.
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