Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
enfant, je craignis que mon frère ne voulût pas insérer, dans sa feuille, un morceau dont il me connoîtroit pour l'auteur. En conséquence, je songeai à déguiser mon écriture, et ayant composé une pièce anonyme, je la plaçai le soir sous la porte de l'imprimerie. Elle y fut trouvée le lendemain matin. Mon frère profitant du moment où ses amis vinrent le voir suivant leur coutume, leur communiqua cet écrit. Je le leur entendis lire et commenter. J'eus l'extrême plaisir de voir qu'il obtenoit leur approbation, et que dans leurs diverses conjectures sur l'auteur, ils n'en nommoient pas un, qui ne jouît, dans le pays, d'une grande réputation d'esprit et de talent.
Je suppose à présent que je fus heureux en juges, et je commence à croire qu'ils n'étoient pas aussi excellens écrivains que je l'imaginois alors. Quoi qu'il en soit, encouragé par cette petite aventure, j'écrivis et j'envoyai, de la même manière, à l'imprimerie, plusieurs autres pièces, qui furent également approuvées. Je gardai le secret jusqu'à ce que mon petit fonds de connoissances pour de pareils écrits fût presqu'entièrement épuisé.
Alors je me nommai.
Après cette découverte, mon frère commença à avoir un peu plus de considération pour moi. Mais il se regardoit toujours comme mon maître, et me traitoit en apprenti. Il croyoit devoir tirer de moi les mêmes services que de tout autre. Moi, au contraire, je pensois qu'il étoit trop exigeant dans bien des cas, et que j'avois droit à plus d'indulgence de la part d'un frère. Nos disputes étoient souvent portées devant mon père ; et soit qu'en général mon frère eût tort, soit que je plaidasse mieux que lui, le jugement étoit presque toujours en ma faveur. Mais mon frère étoit violent, et souvent il s'emportoit jusqu'à me donner des coups ; ce que je prenois en très-mauvaise part. Ce traitement sévère et tyrannique contribua, sans doute, à imprimer dans mon ame l'aversion, que j'ai conservée toute ma vie pour le pouvoir arbitraire. Mon apprentissage me devint si insupportable que je soupirois sans cesse après l'occasion de l'abréger. Elle s'offrit enfin à moi d'une manière inattendue.
Un article inséré dans notre feuille, sur quelqu'objet politique, dont je ne me souviens point, offensa l'assemblée générale de la province. Mon frère fut arrêté, censuré et emprisonné pendant un mois, parce qu'il ne voulut pas, je crois, découvrir l'auteur de l'article. Je fus aussi arrêté et examiné devant le conseil : mais quoique je ne donnasse aux juges aucune satisfaction, ils se contentèrent de me faire une réprimande, et ils me renvoyèrent, me regardant, peut-être, comme obligé, en qualité d'apprenti, de garder les secrets de mon maître.
Malgré mes querelles particulières avec mon frère, sa détention me causa beaucoup de ressentiment.
Tandis qu'il étoit en prison, j'étois chargé de la rédaction de sa feuille, et j'eus assez de courage pour y insérer quelques sarcasmes contre nos gouvernans. Cela fit grand plaisir à mon frère : mais d'autres personnes commencèrent à me regarder sous un point de vue défavorable, et comme un jeune bel esprit enclin à l'épigramme et à la satyre.
L'élargissement de mon frère fut suivi d'un ordre arbitraire de l'assemblée, portant : «Que James Franklin n'imprimeroit plus la feuille intitulée : Le Courier de la Nouvelle-Angleterre».—Dans cette conjoncture nous convoquâmes nos amis dans notre imprimerie, afin de les consulter sur ce qu'il convenoit de faire. Quelques-uns proposèrent d'éluder l'ordre, en changeant le titre de la gazette. Mais mon frère craignant qu'il n'en résultât quelques inconvéniens, pensa qu'il valoit mieux désormais imprimer cette feuille avec le nom de Benjamin Franklin ; et pour éviter la censure de l'assemblée qui pouvoit l'accuser d'en être encore lui-même l'imprimeur sous le nom de son apprenti, il fut résolu que mon ancien contrat d'apprentissage me seroit rendu avec une pleine et entière décharge, écrite au verso, afin de le produire dans l'occasion. Mais pour assurer mon service à mon frère, on décida, en même-temps, que je signerois un nouveau contrat, qui seroit tenu secret durant le reste du terme. C'étoit un très-pauvre arrangement. Cependant il fut aussitôt mis à exécution ; et la feuille continua, pendant quelques mois, à paroître sous mon nom. Enfin, un nouveau différend s'étant élevé entre mon frère et moi,
Weitere Kostenlose Bücher