Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
quand une pièce est jouée, ne pas la remettre à sa place, pour montrer qu'on auroit mieux fait de jouer différemment ; car cela peut déplaire, et occasionner de l'incertitude et des disputes sur la véritable position des pièces. Toute espèce de propos adressé aux joueurs, diminue leur attention, et conséquemment est désagréable. On doit même s'abstenir de faire le moindre signe ou le moindre mouvement qui ait rapport à leur jeu. Celui qui se permet de pareilles choses, est indigne d'être spectateur d'une partie d'échecs. S'il veut montrer son habileté à ce jeu, il doit jouer lui-même, quand il en trouve l'occasion, et non pas s'aviser de critiquer, ou même de conseiller les autres.
Enfin, si vous ne voulez pas que votre partie soit rigoureusement jouée, suivant les règles dont je viens de faire mention, vous devez moins désirer de remporter la victoire sur votre adversaire, et vous contenter d'en remporter une sur vous-même. Ne saisissez pas avidement tous les avantages que vous offre son incapacité, ou son inattention : mais avertissez-le poliment du danger qu'il court en jouant une pièce, ou en la laissant sans défense ; ou bien dites-lui qu'en en remuant une autre, il peut s'exposer à être mal. Par une honnêteté si opposée à tout ce qu'on a vu interdit plus haut, vous pouvez peut-être perdre votre partie, mais vous gagnerez, ce qui vaut beaucoup mieux, l'estime de votre adversaire, son respect, et l'approbation tacite et la bienveillance de tous les spectateurs impartiaux.
L'ART D'AVOIR DES SONGES AGRÉABLES ; ADRESSÉ À MISS... ET ÉCRIT À SA SOLLICITATION.
Comme nous employons une grande partie de notre vie à dormir, et que pendant ce temps-là nous avons quelquefois des songes agréables et quelquefois des songes fâcheux, il est assez important de se procurer les premiers et d'écarter les autres ; car, réel ou imaginaire, le chagrin est toujours chagrin, et le plaisir toujours plaisir.
Si nous pouvons dormir sans rêver, c'est un bien puisque les songes fâcheux sont écartés. Si durant notre sommeil, nous pouvons avoir des songes agréables, c'est, suivant l'expression des Français, autant de gagné, c'est-à-dire, autant d'ajouté aux plaisirs de la vie.
Pour cela, il faut commencer par être très-soigneux de conserver sa santé, en fesant un exercice convenable, et ayant beaucoup de tempérance ; car dans les maladies, l'imagination est troublée, et des idées désagréables et quelquefois terribles la poursuivent. Il faut que l'exercice précède les repas, et non pas qu'il les suive immédiatement. Dans le premier cas, il facilite la digestion, et dans le second, il l'empêche, à moins qu'il ne soit très-modéré. Si après que nous avons fait de l'exercice, nous mangeons avec sobriété, la digestion est aisée et bonne, le corps léger, le caractère gai, et toutes les fonctions animales se font bien. Le sommeil qui suit est tranquille et doux. Mais l'indolence, les excès de la table, occasionnent le cochemar et des terreurs inexprimables. Alors on croit tomber dans des précipices, ou être attaqué par des bêtes féroces, par des assassins, par des démons ; et on éprouve toutes sortes de peines.
Observez, cependant, que la quantité d'alimens et la quantité d'exercice sont relatives. Ceux qui agissent beaucoup, peuvent et doivent manger davantage.
Ceux qui font peu d'exercice ne doivent manger que peu. En général, depuis que l'art de la cuisine s'est perfectionné, les hommes mangent deux fois autant que l'exige la nature. Les soupers ne sont point dangereux pour les gens qui n'ont point dîné : mais les insomnies sont ordinairement le partage de ceux qui dînent et qui soupent beaucoup. Il est vrai que, comme il y a de la différence entre les tempéramens, quelques personnes reposent fort bien à la suite de ce double repas. Il ne leur en coûte seulement qu'un triste songe et une apoplexie, après quoi elles s'endorment jusqu'au jour du jugement. Il n'y a rien de plus commun dans les gazettes, que des exemples de gens qui, après avoir bien soupé, ont été le lendemain matin, trouvés morts dans leur lit.
Un autre moyen dont on doit se servir pour conserver sa santé, c'est de renouveler constamment l'air dans la chambre où l'on couche. On a grand tort de coucher dans des chambres très-closes et dans des lits avec des rideaux. Il est très-mal-sain de ne pas laisser entrer dans une chambre l'air extérieur, et de rester long-temps
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