Vikings
uniforme qui vous fait tellement sourire est le signe de mon pouvoir. Que vous le vouliez ou non, vous allez devoir me répondre. Et je n’aurai aucun scrupule à user de méthodes moins cordiales.
La porte se referma dans un bruit sec. Haraldsen lâcha instantanément son crayon. Il se prit la tête entre les mains et soupira. Dans quel guêpier avait-il été se fourrer ? Et surtout, comment réussirait-il à taire ce qu’il ne devait pas dire et qu’il n’avait pas eu le temps de finir d’écrire ?
Chapitre 15
E LLE FINIT DE REMPLIR le troisième verre et puis alla poser la bouteille sur le buffet où elle rangeait tous les bocaux de conserves de fruits et de légumes. Elle revint au centre de la pièce et prit place à table, à côté de ses invités. Elle saisit son verre et le leva comme on porte un toast.
— Tenez, goûtez-moi donc ce fin nectar, c’est mon excellent calvados de trente ans d’âge. Il est réputé jusqu’aux marches de Bretagne, dit Léonie avec gaieté. Les Boches peuvent envahir la terre entière jusqu’à la Haute-Volta et les bagnes de Cayenne, ils ne trouveront jamais rien d’aussi bon.
— Merci Léonie, répondit Le Bihan. Moi qui craignais vous déranger... Je suis très content de vous revoir. Quand je pense que la dernière fois que je suis venu ici, je n’étais encore qu’un petit garçon pleurnichard.
La vieille femme but son verre et parut réfléchir quelques instants. Puis son visage s’éclaira d’un sourire qui n’avait rien perdu de sa fraîcheur.
— Il me semble me souvenir de toi. Ce sont les intonations de la voix qui me guident. Je me suis toujours fiée davantage à mes oreilles qu’à mes yeux... Quand j’y pense, rien n’a changé depuis que je suis devenue aveugle. Et puis, il faut avouer qu’une fois que mes patients avaient obtenu ce qu’ils désiraient, ils revenaient rarement me voir. Ce n’est jamais très bien vu par ses voisins de venir visiter une sorcière...
À l’écoute de ce grief, Le Bihan se sentit mal, d’autant plus que Jeanne affichait à son tour un large sourire. L’air de rien, Léonie venait de lui clouer le bec à ce petit malin de la ville.
— Vous avez raison Léonie, répondit timidement Le Bihan. Et nous sommes d’autant plus impardonnables que j’ai été guéri.
— Je ne t’en veux pas, lui répondit-elle avec amusement. Cela fait de nombreuses générations que les femmes de ma famille se transmettent d’étranges secrets et de vieilles recettes. Au fil du temps, nous avons sûrement soigné la moitié des habitants de Rouen et de son arrière-pays. Certains nous appellent des sorcières, d’autres des guérisseuses, des rebouteuses, des filles de là forêt et il y en a même qui voient en nous des envoyées du diable... Mais il n’y a aucune diablerie à ne pas être sourde aux messages de la nature. Hélas, le Bon Dieu ne m’a pas donné de fille pour transmettre tout le savoir que je possède. C’est probablement ce qui me rend bavarde en vieillissant.
Tout en écoutant attentivement les paroles de Léonie, Le Bihan ne pouvait s’empêcher de détailler l’incroyable décor de la grande pièce de la maison. Cette grandeur était d’ailleurs toute relative compte tenu de l’exiguïté de la demeure. Les branches séchées de la forêt qui pendaient du plafond voisinaient avec des pattes de chevreuil, des plumes de faisan et des crânes de rongeur. Dans un coin, Léonie rangeait les outils pour le jardin ainsi qu’une vieille paire de sabots qui avait dû faire la Grande Guerre. Une bassine, posée sur une haute table de bois, faisait office d’évier et les quelques plats qu’elle utilisait pour cuisiner étaient rangés à côté. Un autre objet retint son attention au point de l’étonner. Son expression devait traduire sa surprise puisque Jeanne crut nécessaire d’intervenir.
— Léonie accueille quelquefois des visiteurs de passage dans la région, fit-elle avec empressement. Elle n’est pas riche, mais elle a le coeur sur la main ; nous sommes comme ça, à la campagne.
— Que se passe-t-il, Jeanne ? s’étonna la vieille dame. Pourquoi dis-tu cela ?
— Ton visiteur a vu le bol à raser et le blaireau ; je lui explique la raison de leur présence.
Léonie eut un long moment de silence qui plongea ses deux visiteurs dans l’embarras. Puis elle se remit à parler, mais à voix très basse, comme si elle voulait les forcer à l’écouter avec beaucoup
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