Voltaire
jansénisme, le trouva spirituel, hardi, et quand elle mourut lui légua une petite somme pour acheter des livres.
Une grande courtisane érudite, un abbé libertin, des Jésuites, cette éducation de Voltaire explique assez bien pourquoi il a si parfaitement représenté son temps. On a dit que le dix-huitième siècle avait été le siècle de Voltaire, comme le dix-septième celui de Louis XIV. C'est exact. En un siècle de bourgeoisie critique, il est un bourgeois critique; en un siècle de querelles religieuses, il est à la fois très instruit des disputes théologiques, curieux de leurs objets et antireligieux; en un siècle de classicisme, il est un classique, héritier des disciplines du règne précédent ; en un siècle de science naissante, il est, non un savant mais un amateur cultivé et un merveilleux vulgarisateur. Au sortir du collège il sent si bien sa force que, lorsque son père lui propose de prendre un état, il répond : « Je n'en veux pas d'autre que celui d'homme de lettres. »
Le notaire Arouet (qui dans l'intervalle avait acheté une charge) eût souhaité faire de son fils un homme de loi. Mais comment tenir dans une Ecole de Droit un garçon qui ne respectait rien ? En vain lui parlait-on de la considération qui s'attache à la magistrature : « Dites à mon père que je ne veux point d'une considération qui s'achète; je saurai m'en faire une qui ne coûte rien. » Dès l'âge de vingt ans il est, d'abord grâce à Chateauneuf, mais très vite par le charme de son esprit, le commensal des plus grands seigneurs. Il vit dans le monde voluptueux et débauché qui entoure le vieux poète Chaulieu. Il est présenté au prince de Conti et au duc de Vendôme. Il arrange les vers que composent les femmes du monde, ce qui est un moyen de leur plairequand on est plus intelligent que vigoureux. Il écrit une tragédie qui est un Œdipe et qu'il croit neuve parce que, comme celles des Grecs, elle contient des « chœurs et point d'amour ». L'admiration de son petit groupe le grise. Il commence à cultiver, par satires, épigrammes et bons mots, l'art délicat de se faire des ennemis. Il traite en égaux les nobles personnages qui sont devenus ses amis. « Sommes-nous ici tous princes ou tous poètes ? » leur dit-il en se mettant à table. Il ne connaît pas encore les retours d'orgueil et la dureté intermittente des Grands.
Il les eût connus dès ses vingt ans, si son parrain, Chateauneuf, n'avait été nommé ambassadeur en Hollande et ne l'y avait emmené comme page. Un page, le jeune Arouet? Il l'est par la grâce, par l'élégant lyrisme, par les vers amoureux. Mais un page peu sentimental et diablement sérieux sous ses airs de folie. Un peu frêle pour l'amour, solide pour le travail. Un page ? Peut-être, mais plutôt un novice, celui d'une religion qui combattra le fanatisme en attendant qu'elle-même devienne fanatique.
III
Comédies
Le page commença le séjour à l'étranger comme il convient à Chérubin : il devint amoureux. Il y avait à La Haye une Mme Dunoyer, protestante française assez dangereuse, qui avait fui son mari, enlevé ses propres filles, et s'était réfugiée en Hollande où elle vivait en vendant des libelles. Voltaire la vit, la méprisa, mais trouva chez elle une fille toute jeune, Olympe, qu'il appela bientôt Pimpette. « Oui, ma chère Pimpette, je vous aimerai toujours. Les amants les moins fidèles parlent de même, mais leur amour n'est pas fondé comme le mien sur une estime parfaite. J'aime votre vertu autant que votre personne. »
Mme Dunoyer, malgré tant de respect, s'offensa des assiduités du page et se plaignit à Chateauneuf qui mit Voltaire aux arrêts. Il les gardait pendant le jour, mais, la nuit, s'échappait pour aller voir sa maîtresse. « Il n'est rien, chère Pimpette, à quoi je ne m'expose pour vous. Vous en méritez bien davantage. » Puis, comme on ne le laissait plus sortir, il envoya ses vêtements à Olympe pour qu'elle pût s'habiller en cavalier et le visiter, ce qu'elle fit.
Enfin je vous ai vu, charmant objet que j'aime,
En cavalier déguisé dans ce jour.
J'ai cru voir Vénus elle-même,
Sous la figure de l'Amour.
L'Ambassadeur se fâcha, craignit la mère journaliste et méchante, et renvoya Voltaire à Paris.
Là, le notaire Arouet le reçut fort mal. Ce père n'avait pas de chance. Son fils aîné, de plus en plus janséniste, devenait dévot jusqu'à en être inhumain. Son cadet ne se montrait que trop
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