1943-Le souffle de la victoire
tirer une balle. »
Ils se souviennent de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont
fait ; de ces prisonniers russes abattus parce qu’ils avaient une tête de
commissaire bolchevik, de ces Juifs massacrés.
« Si tout tourne mal, mon amour, écrit un soldat à son
épouse, ne t’attends pas à ce que je sois fait prisonnier. »
Le général Paulus, devant la multiplication des suicides, condamne,
dans une adresse à ses soldats, cet « acte lâche et infamant ».
Mais ordre a été donné de laisser mourir de faim les malades
et les blessés.
Il n’est plus possible de les soigner, de les abriter. Ils
sont déjà plus de 20 000 entassés dans des caves transformées en
hôpitaux souterrains. Des piles de cadavres gelés obstruent les entrées.
Les évacuations par voie aérienne ne concernent que quelques
centaines d’hommes, et donnent lieu à de véritables ruées et à des violences :
on veut embarquer à tout prix.
« Nous étions déjà une trentaine à l’intérieur de l’appareil,
la plupart blessés, les grands blessés sur leurs brancards entassés les uns
au-dessus des autres, raconte un soldat.
« Il y en avait d’autres aussi, de prétendus courriers
et qui n’étaient pas le moins du monde blessés. Cette sorte de gens très
astucieux qui se débrouillent toujours pour tirer leur épingle du jeu. »
L’avion roule, cahote, au milieu des nuages de neige que
rejettent les hélices, puis il s’arrête, le pilote annonce qu’il faut alléger
de 2 000 kilos pour pouvoir décoller. Vingt hommes à sortir de là…
« Ce fut alors un vacarme absolument terrible, tout le
monde criait en même temps, celui-ci hurlait qu’il avait un ordre de mission de
l’état-major de l’armée, celui-là, un SS, qu’il était porteur de documents très
importants sur le Parti… Seuls les hommes allongés sur les brancards restaient
silencieux mais la terreur se lisait sur leur visage. »
Puis, l’un après l’autre, ces aérodromes – Pitomnik, Goumrak –
qui sont déjà sous le feu des canons et des « orgues » de Staline –
ces lance-fusées – tombent aux mains des Russes. On se bat entre Allemands
pour embarquer sur les derniers vols de la dernière piste, celle de Goumrak.
Des officiers donnent de fortes sommes aux pilotes pour
obtenir une place.
On entend les rafales des fusils-mitrailleurs des fantassins
russes qui pénètrent sur les pistes.
Alors on fuit, on regagne son « trou », on attend
l’ultime assaut.
On ne sait pas quel visage aura la mort. Balle, poignard, gangrène,
froid, faim.
« On a un kilo de pommes de terre pour quinze hommes. Pas
de viande. On a mangé les chevaux à Noël. »
Vassili Grossman écrit dans L’Étoile rouge en ces
premiers jours de l’année 1943 :
« Ces Allemands qui, encore en septembre, se ruaient
dans les maisons au son grossier de leurs harmonicas, ces hommes qui roulaient
tous phares allumés la nuit, et qui, le jour, chargeaient leurs obus sur des
camions, ces Allemands se cachent aujourd’hui sous un chaos de pierres… Maintenant,
il n’y a plus de soleil pour eux. Ils sont rationnés à vingt ou trente
cartouches par jour, et ne tirent que s’ils sont attaqués. Ils ne touchent plus
que 100 grammes de pain par jour, et un peu de viande de cheval. Tels des
sauvages, ils se terrent dans leurs cavernes, rongeant un os de cheval… Nuit et
jour, c’est pour eux la terreur. Là, dans les sombres et froides ruines de la
cité qu’ils ont détruite, ils voient venir la vengeance ; ils la voient s’approcher
sous les cruelles étoiles du ciel russe d’hiver. »
2.
« Stalingrad, c’est le moment décisif de la guerre »,
dit Staline, ce vendredi 1 er janvier 1943.
Il montre le rapport du maréchal Vassilievski, chef d’état-major
général qui, ordre de Staline, a installé son poste d’observation à Stalingrad
même, à quelques centaines de mètres de la ligne de front.
« Moment décisif », répète Staline.
L’atmosphère dans le bureau d’angle du Kremlin se détend. Il
y a là le général Joukov, les hommes liges de Staline – Molotov, Mikoyan, Beria,
ses trois chiens de garde qui ne quittent jamais leur chef – et quelques
autres visiteurs, militaires et civils relégués dans l’antichambre.
Le rapport de Vassilievski que Staline vient de lire et qu’il
brandit aurait dû arriver à midi et il est arrivé à 16 heures. L’attente a
été
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