1943-Le souffle de la victoire
interminable. Staline ne supporte pas les retards.
Durant ces quatre heures il a dévisagé chacun des présents, s’attardant
longuement, paraissant rechercher un responsable, se tournant vers Beria comme
s’il s’apprêtait à lui lancer un nom, celui du coupable à jeter dans un camp, une
cellule, à tuer d’une balle dans la nuque.
« Son regard tenace et perçant semble voir à travers l’âme
des visiteurs », confiera Joukov qui se souvient de ces heures. Staline
interroge les uns et les autres, menaçant. Il marche de long en large, mâchonnant
le tuyau de sa pipe éteinte. Il la pose finalement dans le cendrier, signe qu’il
va se laisser emporter par la colère.
« Ses crises de colère, dit Joukov, le métamorphosent
littéralement. Il pâlit de rage et son regard se fait lourd et haineux. »
Staline se tourne vers le commissaire aux Transports qui
vient d’être nommé.
« Les transports sont une question de vie ou de mort, dit-il.
Garde ceci en mémoire : si tu n’exécutes pas les ordres, ce sera le
tribunal militaire. »
Le jeune commissaire sort du bureau, en sueur.
« Essayez de ne pas cafouiller, lui murmure Alexandre
Poskrebychev, chef de cabinet de Staline et général du NKVD – la police
politique –, le patron est au bout du rouleau. »
Staline est insomniaque, travaillant, à soixante-trois ans, seize
heures par jour, menant une vie recluse, imposant ses horaires à ses
collaborateurs, régnant sur eux par la terreur.
Ils
savent tous qu’ils peuvent être livrés à Beria, qui règne sur le NKVD, sur le
Goulag, et fait travailler 1 700 000 détenus à la construction
des chemins de fer et à la production d’armement. Plus de la moitié de ces « zeks » –
déportés – sont voués à la mort tant les conditions du système
concentrationnaire sont inhumaines.
Chacun se souvient – et d’abord les généraux – des
« purges » de 1937, des séances de torture dans la prison du NKVD à
Moscou, la Loubianka.
On ne veut pas « prendre le café avec Beria », comme
le propose Staline, cyniquement, semblant jouir de la terreur despotique qu’il
utilise.
Mais c’est pourtant au général Rokossovski – torturé
par le NKVD en 1937, puis libéré en 1941 – qu’il confie le soin de mener
jusqu’à son terme la bataille de Stalingrad – la destruction de la VI e armée
allemande et la capture du général Paulus.
Cette nomination humilie le général Eremenko, commandant à
Stalingrad : Staline fait une moue de mépris, se tourne vers Joukov qui a
évoqué la déception d’Eremenko.
« Ce n’est pas le moment de se sentir humilié, dit
Staline, nous ne sommes pas des enfants mais des bolcheviks. »
Mais depuis l’attaque allemande de juin 1941, Staline se
réfère presque toujours au passé glorieux – et « terrible » –
de la Russie d’avant la révolution. Lui, le Géorgien, il se veut « grand-russe »,
héritier des tsars et de la tradition russe.
Il réunit le Comité national de défense, qui compte autant
de civils que de militaires, dans une salle où sont accrochés les portraits des
vainqueurs de Napoléon – Koutousov et Souvarov – et des tableaux représentant
Marx et Lénine.
Les civils du Comité sont assis face aux deux héros de la
grandeur militaire russe, et les généraux du Comité ont devant eux les tableaux
des « fondateurs du communisme ».
Ce vendredi 1 er janvier 1943, Staline a donc
attendu le rapport du maréchal Vassilievski sur la situation à Stalingrad. Il
laisse libre cours à sa colère, terrorisant les présents, fixant à plusieurs
reprises le général Joukov, puis tout en marchant de long en large, dicte un
message à transmettre aussitôt à Vassilievski :
« Il est déjà 15 h 30 et tu n’as pas encore
daigné envoyer ton rapport. Tu ne peux pas invoquer l’excuse que tu n’as pas de
temps. Joukov abat autant de travail que toi au front et pourtant il m’adresse
son rapport chaque jour. La différence entre vous deux est que Joukov, lui, est
discipliné. Tu manques de discipline… C’est mon dernier avertissement : si
tu négliges ton devoir encore une fois, je te limoge de ton poste de chef d’état-major
et tu seras envoyé en première ligne. »
La terreur comme méthode de gouvernement. La mort comme
châtiment. Chacun sait Staline impitoyable, brisant les vies, despote qui se
donne tout entier à sa tâche de
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