1944-1945-Le triomphe de la liberte
l’humanité et de la mesure.
Quand les membres du tribunal, à 9 h 15, entrent
dans la vaste salle, en civil et en chemise noire, Ciano et ses compagnons se
mettent au garde-à-vous et font le salut fasciste, comme tous les présents.
Après l’appel des inculpés, le vieux maréchal De Bono,
quadrumvir (l’un des quatre organisateurs de la Marche sur Rome en 1922) lié à
Mussolini par vingt-trois ans d’action, vient à la barre se justifier.
Il n’a pas voulu le départ du Duce. Tous les inculpés
répéteront à peu près dans les mêmes termes cette déclaration qui pour ces six
hommes correspond sans doute à la vérité : « La situation du Duce
était hors de question », dira Ciano.
Seul Marinelli se traîne en pleurant, explique comment,
sourd, il n’a pas pu suivre la séance du Grand Conseil, et a voté l’ordre du
jour Grandi sans savoir.
Le 10 janvier, à 13 h 40, le président du
tribunal lit d’une voix inintelligible les sentences : dix-huit
condamnations à mort dont cinq frappent les six accusés présents dans le box.
Ciano dit à De Bono en montrant Cianetti :
« Il n’y a que lui qui s’en sort, pour nous c’est
fini. »
Et il se signe. Cianetti est condamné à trente ans de
prison ; il s’était, sitôt après le vote du Grand Conseil, rétracté auprès
de Mussolini.
« Pour moi, qu’ont-ils décidé ? demande Marinelli
qui n’a rien entendu.
— La mort comme pour nous. »
Marinelli s’évanouit.
Dehors, les Squadristi (membres du Squadre, sections
fascistes) stationnent. Des cris de « à mort, à mort » sont lancés.
Il faut garder les condamnés, pâles et résignés, au Castel Vecchio, pendant
plus de deux heures, en attendant que les sections de fascistes aient évacué la
ville.
Mussolini est resté seul pendant toute la journée. Bientôt,
on lui apporte la nouvelle, lui décrit le comportement de chacun des accusés.
« Marinelli n’arrivera jamais devant le peloton, dit
Mussolini sèchement, il faudra qu’on le porte. »
Puis il s’explique, se justifie :
« Le dilemme que j’ai posé devant le Grand Conseil
était clair. Voter l’ordre du jour Grandi signifiait ouvrir la crise du régime et
ma succession. Grandi, Bottai, Federzoni le savaient. Ciano a joué cette grosse
partie avec eux. »
Il n’y eut pas de grâce. Pavolini a fait refuser les recours
par un général de la Milice, évitant ainsi à Mussolini d’avoir à se prononcer
sur le cas de Ciano. Mais Mussolini n’a-t-il pas dit déjà :
« Pour moi Ciano est mort depuis longtemps. »
Edda, la fille de Mussolini qui a épousé le comte Ciano,
tente avec l’aide de Frau Beetz d’obtenir la vie sauve pour son mari ;
avec une énergie désespérée, elle multiplie les démarches. Elle écrit au
Führer, au Duce, propose les documents qu’elle détient contre la grâce de
Ciano.
« Duce, écrit-elle à son père.
« J’ai attendu jusqu’à aujourd’hui que tu me témoignes
un minimum de sentiments d’humanité et d’amitié. Maintenant, c’est trop. Si
Galeazzo n’est pas en Suisse dans les trois jours selon les conditions que j’ai
fixées avec les Allemands, tout ce que je sais, avec preuves à l’appui, je
l’emploierai sans pitié. Dans le cas contraire, si nous sommes laissés en paix
et en sécurité (de la tuberculose aux accidents d’auto), vous n’entendrez plus
parler de moi.
« Edda Ciano. »
Mussolini, au milieu de la nuit, téléphone au général Wolf
pour demander conseil.
Le général refuse de prendre position et se contente de retirer
pour quelques heures les deux SS qui sont en faction devant la cellule
n° 27, celle du comte Ciano.
Mais il est trop tard pour que Mussolini prenne seul une
décision. Il lui est plus facile de laisser se dérouler les événements, sans
intervenir. Il attend.
Déjà, à la prison des Scalzi, Don Chiot et le franciscain
Dionizio Zilli s’emploient à consoler les prisonniers qui sont réunis dans une
seule cellule. Ciano au dernier moment a tenté de s’empoisonner, mais la drogue
fournie par Frau Beetz est inoffensive.
À 5 heures du matin, le 11 janvier 1944, les
prisonniers sont réveillés et l’attente commence.
Marinelli se lamente faiblement, affaissé. C’est une aube
glaciale d’hiver qui dure. Et la longueur même de l’attente redonne de
l’espoir ; tous ont formulé une demande de grâce, peut-être Mussolini
l’a-t-il acceptée ?
Mais
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