À La Grâce De Marseille
ici tout seul ! Qu’adviendrait-il de sa nagi, de son âme ? Comment trouverait-elle son chemin vers l’autre côté, vers le monde réel derrière celui-ci ? Et pour lui, que se passerait-il ? Sa propre nagi errerait au-dessus de ce pays, loin de son peuple, loin du monde réel. Il ne pouvait pas rester ici, à attendre la mort. Il n’en était pas question. Avec l’aide de Wakan Tanka, il trouverait lui-même le chemin qui le ramènerait chez lui.
Pendant qu’il enfilait sa robe de chambre et glissait ses pieds dans les chaussures duveteuses, il songea soudain que la troupe du Wild West Show était encore de ce côté-ci de la grande eau. Elle devait être en tournée tout l’hiver et tout l’été, et même jusqu’à l’hiver suivant – c’était ce que les patrons blancs lui avaient dit quand il avait dessiné son nom sur le papier à Pine Ridge. Peut-être qu’elle n’était pas très loin. Peut-être qu’on allait quand même venir le chercher. S’il quittait la maison des malades, comment pourrait-on le retrouver ?
Il s’assit au bord de son lit. Ses côtes lui faisaient moins mal. Il inspira profondément, puis poussa un soupir, à mi-chemin de l’espoir et du désespoir. Il pensa à sa mère et à son père dans leur petite cabane ; il pensa à son ami Strikes Plenty et à leurs aventures dans les Paha Sapa ; et il pensa au vieux wicasa wakan qui, au Bastion, l’avait si bien préparé pour son hanblechia. Il frémit à l’idée d’avoir perdu son collier de griffes de blaireau, sa médecine de guerre. Il n’avait plus de pouvoir. Non, il lui restait son chant de mort. S’il le chantait bien, au moment voulu, il y avait une chance pour que son esprit gagne l’autre côté, même si lui-même n’y parvenait pas.
Charging Elk se leva et regarda en direction de la pièce à la lumière jaune. Il avait pris sa décision. Il ne demeurerait pas un sommeil de plus dans cette maison à mourir. S’avançant sur la pointe des pieds entre les deux rangées de lits, il se dirigea dans la direction opposée, alerte et impatient.
Il se glissa silencieusement le long du sombre couloir vers la pièce aux vêtements, se plaquant dans l’embrasure des portes, tous les sens aux aguets, mais il ne vit ni n’entendit rien. Il se dit que la chance était peut-être avec lui, comme le soir où Strikes Plenty et lui s’étaient introduits dans la tente des chercheurs d’or pendant qu’ils dormaient pour leur voler leurs fusils, une boîte de balles et leurs bottes. Charging Elk sourit dans le noir, son premier sourire depuis de nombreux sommeils. Il se rappelait avec amusement que, plus loin, ils avaient jeté les bottes dans un ravin, riant aux éclats en s’imaginant les hommes qui, au réveil, allaient chercher leurs bottes avant de s’apercevoir qu’elles avaient disparu, de même que leurs fusils.
Charging Elk aurait voulu que Strikes Plenty soit là. Ensemble, ils sauraient comment rentrer au pays. Son ami avait toujours retrouvé le chemin qui menait au Bastion.
La porte de la pièce aux vêtements était fermée. Charging Elk sentit le découragement le gagner. Il savait que les hommes blancs gardaient les choses sous clé, qu’ils se volaient entre eux, et cela qu’ils soient ennemis ou non. Presque résigné à retourner dans son lit, il empoigna le bouton, le tourna et, par bonheur, la porte s’ouvrit avec un léger grincement. Il s’empressa de se glisser à l’intérieur et tira le battant derrière lui. Le claquement sec lui parut résonner très fort.
Il faisait noir dans la pièce. Charging Elk retint son souffle et écouta. Les chaussures des wasichus étaient très bruyantes et on les entendait de loin. Aucun bruit ne lui parvint tandis qu’il s’efforçait de percer les ténèbres, se demandant comment les hommes blancs allumaient les filaments jaunes. Il tâtonna autour de lui et sa main rencontra un lourd tissu accroché à l’un de ces fils de fer où ils suspendaient les vêtements. C’était un manteau. Il ôta sa robe de chambre pour l’enfiler, mais les épaules étaient trop étroites et les manches trop courtes.
Charging Elk était grand et fort, et il mesurait dans les un mètre quatre-vingt-cinq. Les Oglalas dominaient de toute leur taille les gens de cette ville. Les habitants d’ici étaient dans l’ensemble plus petits que ceux de Paris, et aussi plus bruns de peau. Red Shirt, qui avait fait de nombreuses tournées avec Buffalo Bill et qui
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