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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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asphyxié, il avait repéré la ruelle à côté de la boulangerie. Alors qu’il traversait la rue, il avait vu un homme en coiffe blanche installer un plateau de petits pains dans la devanture, et il s’était demandé comment il pourrait se débrouiller pour s’en procurer un.
    Il n’avait pas d’argent de l’homme blanc. Pas le moindre sou. À Paris, au cours des jours heureux passés là-bas, il avait presque toujours quelques pièces de monnaie sur lui. Buffalo Bill envoyait pratiquement la totalité de son argent à ses parents à l’Agence, mais Charging Elk touchait malgré tout une poignée de centimes une semaine sur deux. Ainsi que de l’argent papier, des billets verts, on les appelait. Ici, au contraire de l’Amérique, l’argent papier avait différentes couleurs et différentes tailles. Des francs, on disait. Charging Elk recevait cinq francs quand, avec certains de ses camarades, il partait visiter Paris durant ses heures de repos. Un jour, on les emmena voir des statues et des tableaux dans une maison longue aux planchers de bois et aux escaliers de pierre ; une autre fois, dans une maison spectacle, ils écoutèrent une femme aux gros seins chanter d’une voix forte ; et puis, par une journée ensoleillée, ils entrèrent dans une maison de prières et s’assirent dans la pénombre fraîche pendant que l’interprète, qui parlait français et un drôle d’américain, expliquait à Broncho Billy qui, lui, parlait américain et lakota, ce qui se passait. Charging Elk, de même que les autres, écouta patiemment, mais il ne retint pas grand-chose – simplement que l’église appartenait à une mère vierge. Sees Twice, un Indien des réserves qui croyait au dieu de l’homme blanc, voulut leur faire avaler qu’une vierge pouvait avoir un enfant et que, de fait, elle était la mère de leur sauveur, dont le père était beaucoup plus puissant que Wakan Tanka. Personne ne le crut, mais quand il trempa ses doigts dans l’eau sacrée et fit une croix sur sa poitrine dans les quatre directions, tous l’imitèrent. Featherman se lécha les doigts pour voir si l’eau sacrée était vraiment mni wakan. Sa plaisanterie fit rire les autres aux éclats.
    Charging Elk ouvrit les yeux. Le jour se levait. Il ne savait pas s’il avait dormi ou simplement cessé de penser. Il était assis sur un morceau d’épais papier qu’il avait trouvé, et tout son corps était raide de froid. Le mur contre lequel il était adossé lui paraissait glacé et l’air chaud de la boulangerie ne suffisait plus à le réchauffer. Il sentait l’odeur du pain frais, une odeur lourde et sucrée, aussi forte que celle de l’armoise humide de rosée sous les premiers rayons du soleil. Charging Elk aimait alors sortir pisser derrière les tipis et écouter les poitrines jaunes accorder leurs chants en prévision de la journée qui s’annonçait. Il imitait à merveille leurs trilles. Il sifflait comme eux, et l’un lui répondait, bientôt suivi d’un autre. Le soleil séchait la rosée de l’armoise et, grisé par le parfum entêtant, Charging Elk remerciait Wakan Tanka de ce nouveau cadeau.
    Il était encore petit à l’époque, âgé de neuf ou dix hivers, et sa tribu, bien qu’en fuite, était encore libre. Aujourd’hui, à vingt-trois ans, il était perdu dans une grande ville des hommes blancs. L’espace d’un instant, il s’apitoya sur son sort. L’odeur du pain fit gargouiller son estomac, et il songea qu’il fallait d’abord trouver à manger.
    Quelques jours plus tôt, il faisait partie de la troupe de Buffalo Bill, il avait plein de sous dans son porte-monnaie tout neuf, en tout cas largement assez pour s’acheter du café, des pains au chocolat et des glaces, ainsi que parfois, en cachette, du mni sha, le vin interdit. Et puis, lorsque, en compagnie des autres, il marchait dans la rue avec ses jambières en laine, ses chemises d’apparat et sa couverture sur les épaules, ses boucles d’oreilles, ses plumes et ses bracelets de cuivre autour des bras, les Français s’arrêtaient pour regarder. Il leur arrivait même d’applaudir et de les acclamer, à l’exemple des spectateurs au cirque. Les Oglalas, quant à eux, passaient comme s’ils étaient seuls dans leur monde. Il n’y avait que Featherman pour sourire et agiter la main. Lui n’avait jamais le mal du pays. Il avait déclaré plus d’une fois que s’il trouvait une femme pour s’occuper de lui, il resterait. Son pays

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