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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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s’il restait des bisons. Il pensa au rêve de Bird Tail, celui où les bisons pénétraient dans la grotte des Paha Sapa. Il n’avait pas entendu dire qu’ils étaient revenus. De fait, il n’entendait pratiquement jamais parler de l’Amérique. Comme il ne savait pas lire, il ignorait ce que les journaux écrivaient sur son pays natal. Le peu qu’il apprenait, c’était en déchargeant des bateaux américains, ou en écoutant ses camarades de travail critiquer l’Amérique pour son arrogance et son impérialisme. Elle avait attaqué la petite île de Cuba sans aucune raison. Et maintenant, c’était le tour des Philippines. Certains dockers parlaient de refuser de décharger les marchandises américaines. Charging Elk ne comprenait pas les motifs de leur colère, et il ne connaissait pas assez bien l’Amérique pour prendre le cas échéant sa défense.
    L’occasion d’en savoir davantage s’offrait enfin à lui. Il allait pouvoir s’entretenir avec les Lakotas de la troupe. Il aurait des nouvelles du Dakota, de ses parents, de tout son peuple. Il n’avait pas oublié son cauchemar et la voix étrange qui s’élevait au milieu des hurlements du vent : Tu es mon seul fils. Il s’était efforcé de la chasser de son esprit, et il y était parvenu pendant la plupart des hivers passés à la Tombe, mais chez les Gazier, tandis qu’il réfléchissait à la possibilité de rentrer dans son pays, la voix était revenue à quelques reprises, et aux moments les plus inattendus, accompagnée parfois de la terrible vision des corps désarticulés gisant sur les rochers au pied de la falaise. Il se rappelait alors qu’il avait essayé de les rejoindre, saisi d’un désespoir absolu, mais que le vent l’en empêchait en le repoussant à chaque fois, jusqu’à ce qu’il s’écroule dans l’herbe, sanglotant de rage et de frustration.
    Cependant, ce n’était pas à cause du rêve, aussi terrifiant fût-il, qu’il s’était éloigné ainsi de Nathalie, de ses camarades de travail et de ce monde-là. Quelque chose le rongeait, comme si quelque animal lui dévorait les entrailles. Et sa souffrance presque physique venait de ce qu’il savait que son vœu le plus cher pouvait, après seize ans, se voir enfin exaucé – et qu’il n’était plus très sûr de le souhaiter autant.
    Le samedi soir où ils devaient assister à la représentation du Wild West Show, Nathalie tomba malade. Elle avait été fiévreuse et courbatue toute la journée, ce qu’elle avait mis sur le compte de sa grossesse avancée – elle était à moins de six semaines de l’accouchement et elle se sentait souvent épuisée. Juste avant le dîner, elle fut prise de vomissements, mais lorsqu’elle vint à table, elle parut aller un peu mieux et réussit à avaler quelques cuillerées de soupe avec un bout de pain. Charging Elk lui conseilla de boire un peu de vin pour se remettre l’estomac en place, mais à peine eut-elle porté le verre à ses lèvres que ses yeux s’écarquillèrent et qu’elle se précipita vers la salle de bains. Entendant ses haut-le-cœur entre deux quintes de toux, Charging Elk se dit qu’ils ne pouvaient décidément pas sortir. D’un côté, il se sentait déçu, presque consterné, et d’un autre, il avait l’impression d’être soulagé d’un grand poids. Il ne savait pas lequel de ces deux sentiments l’emportait.
    Quand Nathalie revint, sa pâleur et son aspect fragile le frappèrent. Son chignon était défait et elle avait le regard vide.
    « Il faut que tu te couches, dit-il, lui prenant la main pour la conduire dans leur petite chambre. Il faut que tu te reposes. Buffalo Bill attendra.
    — Mais demain, c’est le dernier jour, et si je suis encore malade, tu ne pourras pas y aller.
    — Ce n’est pas grave. » Il l’installa au bord du lit et s’agenouilla pour lui délacer ses bottines, puis il l’aida à ôter sa belle robe et à passer sa chemise de nuit en flanelle. Après quoi, il la borda et la couvrit d’un édredon supplémentaire.
    Nathalie, qui avait gardé le silence durant tout ce temps, déclara alors : « Tu dois y aller, Charging Elk. Je sais combien tu attendais ce moment. » Elle parvint à produire un faible sourire. « Je te jure que je vais aller mieux. »
    Il s’assit sur le lit et la regarda. Il se souvenait du jour où, dans le potager, elle l’avait pour la première fois appelé par son nom, et d’une manière qui lui avait fait chaud au

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