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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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cœur. Il se souvenait de son visage offert au soleil, de la terre riche, de l’odeur âpre des plants de tomates. Et il se souvenait aussi d’avoir livré alors le fond de sa pensée. Il le lui redit : « Je me sens bien avec toi. »
    Elle sourit de nouveau et lui caressa la main, contemplant sa cravate qu’il avait soigneusement nouée. « Tu es très beau ce soir, mon amour. » Son sourire mourut sur ses lèvres et elle demeura de longues minutes silencieuse. Puis, l’expression soudain plus animée, elle plongea ses yeux dans les siens. « J’ai remarqué comment ces derniers jours ton regard se perdait parfois dans le lointain, comme si tu voyais quelque chose qui n’est pas là, qui n’appartient pas au présent. Je suis inquiète parce que je me dis parfois que tu n’es plus avec moi en ce moment si important. Je ne veux pas me sentir seule…» Des larmes perlèrent à ses paupières et elle les essuya de la manche de sa chemise de nuit, puis elle éclata de rire. « C’est bête, je sais…»
    Charging Elk l’embrassa sur le front. « Je suis là, dit-il. Maintenant, dors, Nathalie. Je serai là à ton réveil. » Il se leva et desserra sa cravate.
    « Non, s’il te plaît. Je sais ce que cela représente pour toi. Ce sont les gens de ton peuple. S’il te plaît, je veux que tu y ailles. »
    Il la considéra un instant. Elle lui sourit et dit : « Je ne bouge pas avant ton retour. Je me sens déjà mieux, je te jure.
    — Je ne resterai pas longtemps, dit-il, refaisant alors son nœud de cravate. Juste le temps du spectacle.
    — Reste aussi longtemps que tu le voudras. Promets-le-moi.
    — Bon, mais je rentre le plus vite possible. »
    Charging Elk traversa la place des Capucins noire de monde. Les restaurants étaient bondés. Des jeunes gens parlaient et riaient derrière les vitres des cafés. Il faisait froid et son haleine formait de petits panaches dans l’air vif, mais il percevait autour de lui une animation qui lui rappelait ses premières années à Marseille. À la Tombe, les samedis soir ressemblaient aux autres soirs, marqués par une paisible conversation avec Causeret, peut-être empreinte d’un peu plus de mélancolie au souvenir des jours où leur univers ne se limitait pas aux quatre murs d’une cellule de prison. Et à la ferme des Gazier, il ne faisait que rester parfois une heure de plus après dîner, savourant une deuxième eau-de-vie en fumant l’un des cigares de Vincent.
    Mais Marseille ! Et tous ces samedis soir où il avait arpenté ces mêmes rues dans ses beaux vêtements, s’était attablé aux terrasses des cafés et avait rendu visite à Marie ! Pendant deux ans, il avait éprouvé un sentiment de liberté tel qu’il n’en avait pas connu depuis le Bastion, encore que celui-ci n’avait rien de passionnant en soi. Seule comptait la vie que Strikes Plenty et lui y menaient. Il se remémora aussi les longues soirées d’hiver qu’ils passaient dans leur tipi, sans rien avoir à faire, sans nulle part où aller. Il accéléra le pas, pressé de voir le spectacle et, peut-être, quelques-uns de ses vieux amis. Normalement, après seize années, il n’allait plus connaître personne, mais on ne pouvait jamais savoir. Peut-être que Broncho Billy faisait encore partie de la troupe.
    Il prit le tramway à trolley rue de Rome. La voiture était bondée. Il y avait des parents avec leurs enfants, des groupes d’amis, des amoureux, qui tous se rendaient au Rond-Point du Prado. Alors qu’il se frayait un passage vers l’intérieur, l’image de Nathalie s’imposa un bref instant à son esprit, et il eut terriblement mauvaise conscience. D’ordinaire, les tramways étaient calmes et on n’entendait que le grésillement des câbles et le tintement mat de la cloche cependant que les passagers s’ignoraient les uns les autres et se taisaient, regardant par les fenêtres ou droit devant eux, mais ce soir, tout le monde parlait, criait et riait. Charging Elk lui-même oublia son sentiment de culpabilité tandis que le tramway s’ébranlait avec un cahot et se mettait à rouler lentement sur les rails. Il se rappelait la première fois que Nathalie et lui avaient osé monter dans l’un de ces véhicules, le mélange de peur et d’excitation qu’ils avaient éprouvé. Et quand le tramway avait démarré, ils s’étaient tenu la main comme deux enfants, à la fois effrayés par le craquement de l’électricité au-dessus de leurs têtes et

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