À La Grâce De Marseille
d’identifier étaient « Buffalo Bill », « Indiens », « Wild West », ainsi que les dates : 1 er au 12 novembre.
Un frisson glacé lui parcourut l’échiné. Pourtant, il n’y avait pas le moindre souffle de vent.
Depuis plusieurs jours, Nathalie trouvait son mari distant. Même quand il l’aidait à faire la vaisselle ou qu’il lui apportait le soir une tasse de thé, il semblait être ailleurs. Certes, il se montrait serviable et plein de sollicitude depuis qu’elle lui avait annoncé sa grossesse, mais lorsqu’il s’installait à la table de la cuisine devant un de ses dessins, il contemplait souvent la feuille de papier, la fenêtre fermée par les volets, ses mains ou son café comme s’il ne les voyait pas.
La jeune femme, bien que soucieuse, ne l’avait pas interrogé sur les raisons de cet étrange comportement, car elle avait ses propres problèmes. Presque tous les matins, elle avait des nausées, et ensuite, elle était affamée, mais rien ne paraissait la satisfaire. Elle mangeait une chose, et elle en désirait une autre, et puis une autre encore. En outre, elle sentait son corps changer, s’alourdir. Elle passait d’un état de quiétude ou d’euphorie à l’angoisse la plus profonde, comme si une menace pesait sur elle. Elle n’avait pas de véritables amis à Marseille qui pourraient l’aider le moment venu, ni personne à qui parler, à l’exception du docteur Ventoux dont le cabinet se trouvait juste au coin, sur la place des Capucins, et de madame Robichon, la sage-femme à qui il l’avait adressée, mais leurs conversations n’abordaient que rarement les sujets personnels. Elle avait cependant lié connaissance avec la femme qui tenait le magasin de tissus où elle achetait les cotonnades pour coudre de petites robes et la laine pour tricoter des bonnets et des chaussettes, et également avec la jeune mère qu’elle avait rencontrée sur le palier du dessous. Celle-ci ayant remarqué la condition de Nathalie, elles avaient échangé quelques propos sur la maternité. Elle avait dit qu’elle inviterait Nathalie à prendre le thé, mais sans fixer de jour précis. Aussi, Nathalie montait et descendait les escaliers plus souvent que nécessaire, pour faire une course ou une autre, dans l’espoir de « tomber » sur sa voisine. Elle supportait de plus en plus mal d’être seule toute la journée, et elle avait besoin d’une amie.
Celle qui lui manquait le plus, c’était sa mère. Elle désirait sa présence auprès d’elle plus qu’elle ne l’avait jamais désirée. Il lui fallait une personne en qui elle eût toute confiance.
Comment se déroulait l’accouchement ? Comment élevait-on un enfant ? Parfois, pendant que Charging Elk était au travail, elle tenait des conversations imaginaires avec sa mère. Elle se la représentait dans cet appartement marseillais, qui tapotait les oreillers, préparait une marmite de soupe, époussetait les rares meubles ou venait s’asseoir à côté de sa fille avec son tricot. « Allons, allons, des centaines de bébés naissent tous les jours, tu n’as pas à t’inquiéter, tu as le bassin assez large, Nathalie. Il n’y a vraiment pas de quoi s’en faire un monde. » La jeune femme tirait un grand réconfort de ces instants, mais quand elle finissait de rêver ainsi, elle se retrouvait seule dans un logement exigu, dans une ville loin d’Agen, et sa mère ne pouvait lui être d’aucun secours.
Charging Elk ignorait tout des états d’âme de sa femme, et il éprouvait toujours une certaine surprise à la voir, à peine avait-il franchi le seuil, se précipiter vers lui et se blottir dans ses bras avant même qu’il ait eu le temps d’ôter son manteau et sa casquette. Il la serrait contre lui, sentant son ventre rond, et il l’embrassait sur le sommet du crâne, humant l’odeur de propre qui émanait d’elle. Il lui caressait les cheveux, lui murmurait des mots doux à l’oreille, mais il avait l’esprit ailleurs.
Deux jours avant la date de la première représentation au Rond-Point du Prado, Charging Elk se décida à parler à Nathalie du retour du Wild West Show. Tout excitée, elle posa aussitôt un tas de questions :
« Il y aura des Indiens ?
— Oui.
— Des Indiens comme toi ?
— Oui.
— Et Buffalo Bill, c’est un grand homme ?
— Très grand.
— Les Indiens tueront un bison ?
— Pas pour de vrai. Ils feront juste semblant. »
Il se demanda néanmoins
Weitere Kostenlose Bücher