A l'ombre de ma vie
et
j’avais l’impression que tout me réussissait. Rapidement, je suis passée chef
de rayon puis, encore mieux, responsable de secteur, et j’en voulais toujours
plus. On m’a demandé si j’étais prête à changer d’endroit parce que dans un
autre magasin on avait besoin de quelqu’un comme moi. J’ai sauté sur
l’occasion. C’était ça, ma vie : travailler, progresser, réussir. Je
sentais que dans cette entreprise c’était possible. Qu’ils donnaient leur
chance à des gens comme moi, et même qu’ils en cherchaient. En 2001, j’ai été
nommée directrice du magasin de Calais. J’avais vingt-sept ans, et vingt-sept
vendeuses avec moi. Je ne connaissais pas la ville, mais ce n’était pas très
important. Je ne sortais pas beaucoup, sauf quelquefois avec des collègues. La
plupart de mon temps, je le passais dans ce magasin qu’on m’avait chargée de
relancer. Je m’y suis mise comme je sais le faire. J’ai amélioré le chiffre
d’affaires, j’ai modernisé le magasin, et je m’entendais bien avec les filles
qui travaillaient là. Depuis que je suis en prison, j’ai reçu des courriers de
certaines d’entre elles. Et on m’a dit que d’autres, aussi, ont déposé des
témoignages et des encouragements sur le site Internet [1] qui a été créé par Jean-Luc Romero pour me soutenir. Cela me fait chaud au cœur
et en même temps je m’en veux d’avoir plaqué cette vie-là.
Je repense alors à cette année 2002. J’étais directrice
depuis un peu plus d’un an quand j’ai appris qu’un poste devait être créé pour
rassembler trois sites. Un poste de directeur de zone, en quelque sorte. Un
poste au-dessus du mien. Pour moi, c’était évident qu’il devait me revenir, je
ne réfléchissais pas plus loin. Et puis c’était une progression idéale,
tellement tentante. J’ai postulé, j’ai insisté, mais on ne me répondait pas. On
ne m’a jamais dit non, c’est vrai, mais je n’ai pas eu de réponse, j’ai été
déçue. Je ne comprenais pas les hésitations de ma direction, je ne voyais
aucune raison à leurs atermoiements et cela m’a mise en colère.
Dans le même temps, une chaîne de vêtements m’a contactée,
par l’intermédiaire d’un chasseur de têtes. Ça m’a rassurée sur mes
compétences. Ce n’était pas un poste de directrice, mais on me proposait d’être
chef de département, avec un salaire intéressant. Alors, j’ai planté mon emploi
et je suis partie dans les vêtements. J’avais un désir de revanche et toujours
plus envie de réussir. Après tout, j’avais déjà montré de quoi j’étais capable
et les deux entreprises se ressemblaient, finalement. Il y avait beaucoup de magasins,
énormément d’employés qui tournaient et des postes qui se libéraient. Je
pourrais progresser, là aussi, d’autant que je démarrais comme chef du
département Bijoux et Lingerie. Il fallait juste que je suive une formation de
six mois à Roubaix, dans laquelle je me suis plongée pour mettre toutes les
chances de mon côté. Mais à peine avais-je commencé que les choses se sont un
peu gâtées. En fait, dans mon équipe, il y avait une personne en trop : la
directrice devait licencier une fille. Je m’en souviendrai toujours… Un midi la
directrice m’a invitée à déjeuner et m’a dit : « C’est toi que
j’élimine. Parce que si je ne t’élimine pas, bientôt tu prendras ma
place… » Je me souviens, ce soir-là, avoir été tellement abattue que j’en
ai bu une bouteille de vin toute seule, dans le noir de ma chambre.
J’ai cru mourir de rage. Licenciée ! Pour moi, c’était
pire qu’une maladie incurable. Je me disais qu’elle n’avait pas le droit, qu’on
ne me vire pas, moi… Malgré ma haine, je sentais bien que tout cela était ma
faute. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Il ne me restait plus qu’à
recommencer, trouver autre chose, même si j’avais le moral à zéro. Alors j’ai
fait des petits boulots. Notamment dans un restaurant, vers Béthune. Chaque
fois, je m’en sortais bien, on était content de moi, parce que je travaillais
toujours autant. Je ne sais pas faire autrement. Et chaque fois, je ne comptais
pas mes efforts, bien que mon enthousiasme ne suivît pas car j’étais consciente
d’avoir fait un sacré bond en arrière. Finalement, à force d’investissement et
d’acharnement, le patron du restaurant a voulu qu’on s’associe. Je n’avais que
vingt-huit ans, mais je
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