A l'ombre de ma vie
son bandeau dans les
cheveux, puis il disparaît. Il m’a juste regardée un moment, comme pour me détailler.
J’entends qu’il s’appelle Ezequiel. Quand tout ça est terminé, ils sortent les
uns après les autres, nous jettent sur le canapé – j’ai les mains menottées
sous la couverture – et nous ordonnent de garder la tête baissée jusqu’au
moment où la porte s’ouvrira.
C’est long.
En fait, nous ne sommes pas seuls parce qu’un homme est
resté derrière la porte pour nous surveiller. Il y a des bruits dehors mais
plutôt étouffés, on ne comprend pas ce que cela veut dire.
Puis la porte s’ouvre. Poussée par une vingtaine de types
qui foncent sur Israël et c’est reparti, ils le frappent, lui attachent les
mains dans le dos et le collent au sol. Il y a du monde partout et en plus des
flics, maintenant, il y a des équipes de télévision. D’ailleurs, ce sont eux,
avec leurs micros, qui interrogent Israël, pendant que je suis tenue à l’écart,
maintenue par deux ou trois hommes, malmenée et bousculée.
C’est la première fois que j’entends sa voix depuis qu’on
est revenu ici, mais j’aurais préféré ne jamais entendre ça. Je suis
stupéfaite. J’hallucine. Devant les caméras, et même avec un brin de fierté,
peut-être, Israël reconnaît qu’il est bien celui qu’on appelle « le
Cancer », qu’il a bien séquestré ces gens-là, et d’autres aussi, qu’il
était payé pour ça. Il donne des chiffres pour répondre aux questions et
reconnaît encore d’autres kidnappings, je crois. Je ne suis plus sûre de rien.
Excepté un détail. Il raconte que les autres voulaient faire mal à l’enfant et
que c’est pour ça qu’il a amené l’enfant ici. Mais il n’y a jamais eu aucun
enfant dans cette cabane, et nulle part ailleurs au ranch, je le sais bien, je
m’en serais aperçue !
Des policiers sont passés de l’autre côté de la fausse
cloison qu’ils ont installée plus tôt, et maintenant on entend des voix qui
crient avec eux. Il y a une femme, c’est sûr, elle hurle ‒ « Laissez-les, laissez-les, ils n’y sont pour rien ! » ‒ , et c’est à ce
moment-là que je me rends compte qu’il y avait quelqu’un derrière ce mur de
bois. Sans doute plusieurs personnes qui se sont tenues tranquilles pendant
notre longue attente, avant que la porte soit ouverte, parce qu’on ne les a pas
entendues, on ne s’est même pas rendu compte de leur présence. Je découvre
qu’ils sont trois. La femme crie encore :
— Non, ils n’ont rien à voir ! Laissez-les, c’est
pas eux !
Les policiers les ramènent, les journalistes filment le
barbu et l’homme au bandeau.
Dans la folie de cet assaut, ce n’est pas ça que les gens
regardent à la télévision. Ils regardent plutôt les deux personnes qu’on leur
présente comme des ravisseurs, ils voient apparaître trois prisonniers, dont un
enfant, et ils croient que tout cela est vrai, bien sûr. Qui peut s’imaginer, à
cet instant, que j’ai quitté ce ranch tranquille moins de vingt-quatre heures
plus tôt, et que depuis on m’a séquestrée et ramenée là, qu’on m’a obligée à
baisser la tête et à faire tout un tas de choses auxquelles je ne comprends
rien ?…
Je suis perdue. Comme si j’étais seule au milieu de ce
fracas à me demander si tout ça est bien vrai et pourquoi Israël raconte ces
choses. Il ne peut presque plus parler, maintenant, tant on l’a frappé, et je
vois des caméras vers moi, des micros, des hommes qui me demandent si je
savais, des mains qui me giflent, aussi, et je réponds presque sans m’en rendre
compte que je ne savais pas, que j’ignorais tout ça et je répète :
— Je suis innocente, je suis innocente…
Je ne sais pas qu’à ce moment-là des millions de Mexicains
sont devant leur poste de télévision et suivent tout ce montage en direct,
qu’on leur présente tout cela comme une vraie arrestation, parce que les deux
chaînes qui nous filment sont parmi les plus regardées du pays. Ça n’aurait
rien changé que je sache cela, car je suis loin de m’imaginer que ces images
allaient tourner en boucle, qu’on les verrait à Mexico et dans le reste du
pays, dans les maisons, dans les prisons, et qu’à cet instant je suis en train
de devenir Florence la Française, Florence la diabolique, l’égérie de la bande
des Zodiacos dont je n’ai même jamais entendu parler. Je répète encore que je
ne savais pas, que je suis
Weitere Kostenlose Bücher