A l'ombre de ma vie
et
toujours la volonté, l’ambition de me sortir de là… mais quand cela finira-t-il
par arriver ? Lorsqu’ils étaient tous les deux avec moi, dans la salle des
visites de la prison, j’ai bien compris ce qu’ils me disaient :
« Nous ne sommes plus dans le court terme, Florence. » J’ai encaissé
sans broncher, devant eux, mais Dieu, que c’est dur à entendre ! J’ai déjà
fait quatre ans, ici, je veux croire dur comme fer que je n’en ferai plus
autant. Mais combien, alors ? Je veux croire que le plus difficile est
derrière moi, si seulement je ne retourne pas à Santa Martha. Ce serait un
comble : le pénitencier tombe en ruine, alors on évacue des détenues en ce
moment. Beaucoup viennent ici. De cent vingt, l’effectif est passé à trois cent
soixante en quelques mois. Les conditions se dégradent, du coup.
Je suis lasse, tellement lasse. De tous ces cris à longueur
de journée, qui sont devenus comme un bruit de fond. Des frissons qu’ils me
donnent parfois, comme lorsqu’ils viennent du sous-sol, ce fameux
« trou » que toutes les détenues redoutent. Tout cela entre en moi et
n’en sortira peut-être jamais. Je serai marquée à vie, j’aurai même sans doute
beaucoup de mal à me réadapter.
Petit à petit, je lâche des choses. Je fais des concessions
à ma résistance. Je me laisse pousser les cheveux, comme une marque du temps
que j’ai passé en prison, et ils m’arrivent au bas du dos, maintenant. J’ai
cessé de me maquiller. Fini les ongles vernis. Je ne me rase plus les jambes,
non plus. On trouvait admirable que je m’accroche à cela ? Qu’est-ce que
cela peut bien faire ? Je n’en peux plus d’être forte. Si c’est pour vivre
ainsi…
Quand j’appelle chez moi ou que je téléphone à des amis, en
France, je me demande s’ils s’imaginent le décalage entre nous. Eux, dans leurs
salons, assis dans un fauteuil, et moi debout, contre le mur, ou assise à
genoux par terre, avec le câble trop court du combiné, et des hommes qui
passent parfois, des ouvriers par groupes de cinq ou six qui s’arrêtent, me
regardent ouvertement en se poussant du coude et en riant – je suis humiliée.
Et derrière le mur, ces cris de femmes, et tout autour, des mouches par
paquets.
Alors, on me dit : « Tiens bon, un jour ce sera
ton tour, tu verras. » Mais c’est insupportable, cette phrase ! Quand
on ne pense qu’à cela, en mangeant, en dormant, c’est insoutenable. Cela fait
trop longtemps que je suis en décalage avec le monde extérieur. Trop longtemps
que j’ai l’impression que plus personne ne me comprend vraiment. Tout ce que je
vis, tout ce que j’endure. Et maintenant, je suis conditionnée, c’est fait.
Longtemps, je me suis battue contre cela, pour ne pas être comme les autres, et
petit à petit j’ai lâché. Le système est trop fort. Avant, je ne laissais pas
passer les injustices, la corruption, dans la prison. Je le disais haut et
fort, maintenant je n’ai plus l’énergie. Et c’est exactement ce qu’ils
veulent : que l’on fasse profil bas. Parfois, il vient des employés de
l’administration pour réaliser des enquêtes et souhaitent nous parler. Quand
ils me demandent pourquoi je suis là, je me force pour leur expliquer qu’on
m’accuse injustement d’enlèvements, pour me défendre encore et m’acharner.
Parfois, je suis tentée de répondre simplement : « Je suis là pour
enlèvements. » Mais ils auraient définitivement gagné, alors. J’ai baissé
les bras… Il me reste une seule richesse : mon innocence.
J’aimerais terminer par un message d’espoir. Je n’en ai pas.
En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous
iraient ?
Woody Allen
Remerciements
Je remercie Éric Dussart, Jacques-Yves Tapon, Frank Berton,
Agustin Acosta, Horacio Garcia, Jean-Luc Romero, Thierry Lazaro, Frédéric
Cuvillier.
Olivier et Sébastien, mes frères.
Mes deux grands-mères, Marie et Lucie, mes deux
grands-pères, Maurice et Henri, qui me regardent de là-haut ; ma cousine,
Anne-Sophie, ses parents et toute ma famille.
M. le président de la République, Nicolas Sarkozy, son
épouse, Carla Bruni-Sarkozy et Damien Loras.
Daniel Parfait et Vera Valenza.
Ingrid, Astrid et Yolanda Bétancourt, Tony et Soraya, Gérard
et Jamila, Anne et ses copines, Magalie Patrice et Fabienne, Frédéric S. et
Karine, Anabel H. et Denise M., Starsky et Hutch, David, Michel et Sylvie ainsi
que tous les amis du Canada,
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