A l'ombre de ma vie
table les feuillets confiés par
Florence. D’une toute petite écriture serrée, elle racontait… Je verrais cela
plus tard ; j’avais rendez-vous cet après-midi-là avec les pyramides de la
lune et du soleil.
Quand je regagnai l’hôtel, en fin de journée, je constatai
que ces documents avaient disparu.
Quelques questions auprès du personnel me permirent de
comprendre très vite que ma chambre avait bien été visitée, et pas par des
cambrioleurs ordinaires… Ce soir-là, j’ai acquis la certitude que cette affaire
dépassait largement Florence, et qu’elle était en train de devenir une affaire
d’État. Deux hypothèses semblaient plausibles : la vengeance du señor Margolis, l’ancien associé du frère de Florence, qui avait ses entrées dans les
couloirs des services de police et de renseignements, ou celle de Genaro Garcia
Luna, alors patron de l’Agence fédérale d’investigation, humilié en direct à la
télévision par Florence. Ou la conjonction des deux.
J’ai continué d’étudier ce que je pouvais du dossier ;
je suis revenu au Mexique quelques jours, lors du déroulement de cet
interminable procès dont j’étais en quelque sorte le seul juré, et j’ai peu à
peu construit mon intime conviction. Bien sûr, rien ne tenait dans cette
accusation ; bien sûr, les témoins mentaient ; bien sûr, l’enquête
policière avait délibérément négligé des pistes sérieuses… Bien sûr, Florence
était innocente. Il restait un dernier pas à franchir : passer de la
conviction à la certitude. Les parents de Florence, laquelle avait été, contre
toute attente – du moins dans notre conception du fonctionnement de la justice
–, condamnée en appel, venaient de s’attacher les services de Frank Berton. Le
célèbre avocat avait repris tout le dossier, et mis en évidence toutes les
incohérences d’une instruction menée totalement à charge, les faux témoignages
et les pistes délibérément oubliées. Je l’ai accompagné lors de son premier
voyage à Mexico. Nous avons longuement échangé. Il m’a permis de prendre
connaissance de pièces du dossier que j’ignorais. Nous avons rencontré des
confrères, journalistes et avocats, nous avons revu Florence.
Tout au long de cette histoire, j’ai été successivement
partagé entre deux impératifs. D’abord, faire en sorte que l’on n’oublie pas
cette jeune femme condamnée en première instance à près d’un siècle de
prison ; ensuite, et surtout, participer à la démonstration de son
innocence. C’est pour répondre à cette seconde exigence que je me suis astreint
à repousser souvent mes émotions, à me condamner moi-même à une grande rigueur,
de sorte que je peux aujourd’hui demander au lecteur de partager ma certitude.
Il n’y a pas l’ombre d’un doute : Florence Cassez est innocente.
Jacques-YvesTapon, novembre 2009
I
8 décembre 2005
Je sais bien que je laisse un morceau de ma vie derrière
moi, mais je n’ai pas de regrets, pas de mélancolie. Au contraire, ce matin est
le début d’autre chose qui m’enthousiasme, et même si je ne dois pas trop le
montrer encore, je suis excitée à l’idée que ma vie prend un nouveau départ
ici. J’ai trouvé un bon travail et un appartement dans le centre de Mexico. Il
me reste à m’investir, à convaincre, à gravir les échelons. Tout ce que j’aime.
Israël roule tranquillement, mais il est tendu. À l’arrière
de la camionnette, nous avons chargé les quelques meubles qui me restaient chez
lui. Il a bien voulu m’aider jusqu’au bout, mais je sens qu’il fait beaucoup
d’efforts. Les trois mois que nous venons de passer dans son ranch de Topilejo
n’ont pas été les plus simples pour lui, mais il a été gentil. Il a bien voulu
m’héberger encore, après notre rupture, à faire copain-copine, vivre sa vie chacun
de son côté, même si la maison n’est pas si grande. C’est une histoire de
quelques mois qui s’est terminée doucement, sans heurts. Israël a bien compris
que les choses lui échappent, que je ne reviendrai pas en arrière. C’est vrai
qu’il est macho, qu’il s’est parfois montré un peu trop jaloux, mais il est
gentil. Et intelligent aussi. Il a su me dire qu’il aimerait renouer mais sans
jamais insister, sans se montrer trop lourd, cachant parfois sous des gestes
doux une déception qu’il n’a pas voulu m’infliger.
Il est encore tôt, même pas dix heures, et le soleil bas de
décembre pose
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