À l'ombre des conspirateurs
Il était chargé de surveiller la construction de deux nouveaux navires marchands.
— Si j’ai bonne mémoire, il les a appelés Calypso et Circé.
— Circé, je peux le confirmer. Le bateau a été confisqué et se trouve à quai à Ostie.
— Confisqué ?
— Pour les besoins d’une enquête. Tu ne te rappelles rien d’autre ?
— Non, je vois pas. C’est quoi, ton problème, Falco ? Ce Pertinax te devait de l’argent ?
— Non, tout le contraire. Il a légué une grosse somme d’argent à Barnabas, et je suis chargé de la lui remettre.
— Si ça peut t’aider, de retour à Tarente, je poserai quelques questions à droite et à gauche.
Je ne jugeais pas utile de faire allusion à la fâcheuse habitude de Barnabas : faire rôtir des sénateurs. Vespasien avait d’ailleurs bien précisé de taire les implications politiques.
— Oui, ce serait gentil, Læsus. Écoute, l’ami. Pour des raisons personnelles, je suis intrigué par ces deux hommes. On les aimait beaucoup ?
— Barnabas offrait généreusement à boire et parlait de ses grands projets. Les types du coin espéraient que Rome saurait reconnaître ses mérites.
— Je suis sûr que Rome a déjà reconnu ses mérites. Et Pertinax ?
— Tous ceux qui possèdent des navires et des chevaux de course se croient populaires ! Beaucoup de flatteurs le traitaient comme un grand homme.
— Hum ! Ça l’a peut-être conduit à s’impliquer dans une histoire aussi idiote que dangereuse. Il ne serait pas le premier provincial à vouloir épater la capitale. Malheureusement pour lui, le résultat n’a pas été à la hauteur de ses espérances. C’est le moins qu’on puisse dire.
Les gens qui avaient partagé notre table se levèrent. Nous étendîmes tous les deux nos jambes sur le banc d’en face, dans une position plus confortable.
— Dis-moi, Læsus, qui es-tu venu rencontrer à Crotone ?
— Oh !… un vieux client. Rien d’important. (Comme tous les marins, il se montrait cachottier) Et toi ? demanda-t-il avec un regard pénétrant. Au marché, tu t’es dit messager. Pour Barnabas ?
— Non, il s’agit d’un prêtre : Curtius Gordianus.
— Qu’est-ce qu’il a fait ?
— Rien. Je lui apporte des nouvelles de sa famille.
— Ça m’a l’air d’un compliqué, l’espionnage ! commenta-t-il.
— Je n’ai vraiment rien d’un espion, je t’assure, Læsus.
— Bien sûr que non, concéda-t-il par pure politesse.
— Mais j’aimerais bien en être un ! assurai-je en m’esclaffant. Je connais un espion qui ne fiche absolument rien : un peu de paperasserie, puis des endroits chic au bord de la mer… Læsus, mon brave ami, s’il s’agissait ici d’aventures inventées par un médiocre poète de cour, tu devrais t’écrier : « Curtius Gordianus ? Quelle coïncidence ! Je dîne justement avec lui ce soir ! »
Ouvrant la bouche comme s’il s’apprêtait à répéter mes paroles, il fit une longue pause pour entretenir le suspense.
— Jamais entendu parler de ce type ! déclara-t-il enfin d’un ton affable.
15
J’avais vraiment eu beaucoup de chance de rencontrer le capitaine Læsus – même si, après m’avoir sauvé la vie, il m’avait emmené dans une taverne dont la nourriture me rendit horriblement malade.
Sur le chemin du retour au mansio, je me faisais l’effet d’ondoyer dans une soupe de coquillages au safran. Pas pour longtemps. Il devait y avoir une mauvaise huître dans mon potage. Je suis heureusement pourvu d’un « estomac vétilleux », pour employer l’expression des membres de ma famille : quand ils jugeront avoir assez attendu leurs legs, chercher à m’empoisonner est la dernière chose qui leur viendra à l’esprit.
Tandis que mes confrères voyageurs mastiquaient l’innommable poitrine de porc bouillie servie par le gargotier, je restai vautré sur mon lit à geindre. Un peu plus tard, je me décapai longuement au bain, avant de m’installer dans le jardin pour lire. À peine leur repas fini, les autres clients s’installèrent dehors pour vider quelques pichets de vin avant la tombée de la nuit. Je me contentai d’un gobelet d’eau afin de soulager mon estomac.
L’espace réservé à la détente comptait de trop nombreuses tables. Cela évitait à l’aubergiste paresseux d’entretenir des plates-bandes. De nombreuses places restant inoccupées, personne n’avait de raison valable pour venir me déranger.
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