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À l'ombre des conspirateurs

À l'ombre des conspirateurs

Titel: À l'ombre des conspirateurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lindsey Davis
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parce qu’on a trop bu en l’attendant…
    — Ce qu’il y a de bien, Læsus, conclus-je, c’est qu’un repas sur les quais ne reste jamais assez longtemps dans ton estomac pour pouvoir t’empoisonner !
    Il se contenta de sourire. Les marins ont l’habitude d’écouter les divagations des étrangers.
    On nous servit enfin notre soupe. Elle était bonne, mais il fallait développer une certaine technique pour l’avaler. J’étais juste parvenu à la filtrer avec adresse entre ma langue et mes dents, pour éviter de m’étrangler avec des morceaux de pinces de crabes, quand mon compagnon revint à la charge d’un air goguenard :
    — Puisque tu as l’air trop timide pour expliquer à quoi tu occupes ton temps, Falco, laisse-moi deviner… Je te verrais bien dans la peau d’un espion.
    — Je pensais ressembler à un prêtre ! m’exclamai-je très peiné.
    — Non, Falco ! Tu as l’air d’un espion déguisé en prêtre.
    Je poussai un grand soupir et me jetai sur mon gobelet de vin. Nous bûmes en silence.
    Mon nouveau copain Læsus était un drôle de phénomène. Dans cet endroit où j’avais de bonnes raisons de me méfier de tout le monde, je lui faisais bizarrement confiance. Il braquait sur moi ses deux yeux noirs et ronds de rossignol, et gardait bien enfoncé sur le crâne son chapeau de marin : une calotte de feutre toute ronde, au bord complètement relevé. Cela me faisait penser à un champignon posé à l’envers.
    Les clients de l’établissement se raréfiaient. Il ne resta bientôt plus que deux vieux marins et quelques voyageurs qui, comme moi, préféraient ce port endormi au centre-ville. Plus un trio de jeunes femmes : respectivement Gaia, Ipsyphille, et Meroë. Dotées de personnalités généreuses et de tuniques largement décolletées, elles ne cessaient d’aller et venir. À défaut de raisins ou de châtaignes grillées comme dessert, il était possible de déguster ces beaux fruits disponibles dans les chambres du premier étage. Gaia était vraiment très jolie…
    — Tu veux tenter ta chance ? demanda mon vis-à-vis qui avait suivi la direction de mon regard.
    Il faisait preuve de générosité à mon égard, disposé à m’attendre en gardant ma place à table, pendant que je passerais un moment avec l’une de ces filles. Je me contentai de faire non de la tête, avec un sourire paresseux accroché aux commissures des lèvres. Je fermai les yeux, et mes pensées s’envolèrent vers une autre jolie fille de ma connaissance. J’imaginais sans peine l’expression de son visage, si elle pouvait me voir en train d’envisager une étreinte sordide (les termes qu’elle emploierait, à coup sûr) avec une putain du port de Crotone. L’élégante et digne Helena Justina avait des yeux couleur de dattes, brun doré, et ce n’était pas le seul trait qu’elle tenait du désert : quand quelque chose lui déplaisait souverainement, elle renâclait comme une chamelle au mauvais caractère…
    Quand je rouvris les yeux, la fille qui s’appelait Gaia était montée avec quelqu’un d’autre.
    — Dis-moi, demandai-je soudain à Læsus. Si tu es originaire de Tarente, tu as peut-être rencontré le sénateur Atius Pertinax ?
    Il termina posément de mâcher ce qu’il avait dans la bouche.
    — J’ai jamais été à tu et à toi avec les sénateurs ! s’exclama-t-il enfin d’une façon évasive.
    Une manière détournée de ne pas répondre à ma question, sans pour autant mentir.
    — Il possédait aussi des navires, précisai-je. En traversant les forêts de Sila, une pensée m’est venue : étant originaire du Sud, peut-être avait-il fait construire ses bateaux ici…
    — Ton raisonnement tient debout, commenta Læsus, toujours sans se compromettre. Il a des ennuis ?
    — Les pires qui soient : il est mort.
    Mon compagnon parut affecté par cette nouvelle. Je continuai de boire mon vin, faisant mine de ne pas m’en apercevoir.
    — À quoi il ressemblait, ce sénateur ? s’aventura-t-il après avoir repris ses esprits.
    — Un peu moins de 30 ans. Élancé, visage mince, tempérament nerveux. Un affranchi du nom de Barnabas.
    — Oh ! je connais Barnabas ! s’écria-t-il. D’ailleurs, à Tarente, tout le monde le connaît !
    Je me demandai s’ils savaient aussi qu’il était devenu un meurtrier. Læsus me raconta que quatre ou cinq ans plus tôt, Barnabas avait longuement séjourné à Tarente pour le compte de son protecteur.

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