Abdallah le cruel
bravement combattu mais vos guerriers n’étaient pas assez
nombreux et vous avez appelé à l’aide Abdallah le si mal nommé. Car celui qui
se prétend le serviteur de Dieu n’a pas daigné écouter vos plaintes. Il est si
peureux qu’il a préféré conclure une trêve avec le renégat Samuel Ibn Hafsun
plutôt que lui faire payer cher sa traîtrise. De la sorte, il a déshonoré ses glorieux
ancêtres au nombre desquels se trouve l’émir Hisham, que son nom soit
exalté !, dont je descends en ligne directe. J’ai décidé de relever
l’étendard de Marwan et d’aller conquérir la cité de Zamora. Après avoir
massacré ses habitants, j’y ferai édifier une mosquée où les fidèles pourront
invoquer le nom de mon seigneur Mohammad le Prophète, sur Lui la bénédiction et
la paix ! Que tous les hommes en âge de combattre fassent diligence et se
joignent à moi dans cette noble entreprise.
Ahmad Ibn Moawiya.
Cette missive, lue sur les places
publiques, souleva l’enthousiasme. Pas moins de soixante mille hommes
affluèrent à Fahs al-Ballat [94] ,
dans le Djebel Baranis [95] ,
pour se placer sous les ordres d’Ahmad Ibn Moawiya surnommé rapidement al-Kitt,
le Chat. À l’instar de cet animal, il était en effet capable de se montrer
aussi caressant que cruel. Il acceptait et récompensait les hommages rendus à
sa personne, mais n’hésitait pas à griffer ceux qui se risquaient à contester
son autorité. Abou Ali al-Sarradj l’apprit vite à ses dépens. Son maître
n’avait plus besoin de ses services, or lui ambitionnait d’être nommé cadi de
l’armée. Des amis bien intentionnés lui firent comprendre qu’il avait tout
intérêt à se montrer plus discret, voire à gagner un ribat, un ermitage
fortifié. Ses attaques contre les riches avaient indisposé certains chefs de
tribus et d’autres ne supportaient pas ses longs sermons ponctués d’allusions
aux hypocrites qui se battaient pour Allah mais ne s’abstenaient pas des
boissons prohibées par le Prophète. Un soir, alors qu’il se promenait à
l’intérieur du camp, le bourrelier fut assailli par une bande de vauriens qui
l’assommèrent. Au petit matin, à son réveil, il se retrouva sous une tente,
entièrement nu, entouré de femmes dont l’attitude indiquait la profession. Des
soldats entraient et sortaient, appelant leurs camarades d’un ton joyeux, les
invitant à venir constater la manière dont le prédicateur mettait en
application ses principes. Le pauvre homme s’enfuit sans demander son reste et
l’on n’entendit plus jamais parler de lui.
Ahmad Ibn Moawiya se fit proclamer mahdi , « envoyé d’Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux »,
et ses agents répandirent le bruit qu’il possédait des pouvoirs surnaturels
dont il n’hésita pas à faire la démonstration. On le vit ainsi prendre dans la
main un tas de brindilles sèches, rôties par le soleil, et les manipuler avant
de les tendre à un soldat qui poussa un cri de stupéfaction. Ces morceaux de
bois étaient trempés et de l’eau en suintait. Le mahdi répéta ce geste à
plusieurs reprises sous les applaudissements de la foule à laquelle il
déclara : « Ce sont là quelques-uns des dons qu’Allah m’a octroyés et
vous en verrez plus encore si Dieu le veut. » Zual Ibn Yaish Ibn Furenik
n’était pas dupe. Lors d’un séjour à Kurtuba, il avait vu à la cour des
jongleurs faire la même chose et comme le mahdi avait passé son enfance au
palais, il supposait que l’un d’entre eux lui avait appris ses secrets. Il
jugea préférable de conserver le silence car les soldats firent état d’autres
prodiges.
Le lointain parent de l’émir avait
ainsi effectué une promenade avec ses officiers, cheminant lentement dans la
plaine et faisant de fréquents arrêts pour saluer ses partisans. Curieusement,
son cheval était trempé de sueur alors que les montures de ses compagnes ne
donnaient aucun signe de fatigue. Quand ils l’interrogèrent, il leur répondit
dédaigneusement : « Vous avez remarqué que tous ces braves gens me
supplient de rendre visite à leurs villages. Ils essaient de m’approcher et vous
les repoussez. Pourtant, ainsi que vous le voyez, mon cheval est couvert de
sueur comme s’il était tiraillé par les uns et par les autres. Tirez-en
vous-mêmes les conclusions. »
Pour abuser les fidèles les plus
naïfs, le mahdi avait d’autres tours dans son sac. C’est ainsi qu’il
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