Abdallah le cruel
de
rigorisme et devinrent les disciples les plus zélés des foqahas fanatiques dont
le pouvoir se renforça considérablement. Ce n’était pas du goût de l’émir et ce
phénomène poserait, il le pressentait, bien des problèmes dans les années à
venir. Quant aux chefs arabes, ils firent bloc autour de lui, y compris le
perfide et rusé Ibrahim Ibn Hadjdjadj. Le wali d’Ishbiliyah avait envoyé des
subsides à Samuel Ibn Hafsun et redoutait que cela se sût. Il écrivit une
longue lettre au souverain pour lui proposer de mettre des troupes à sa
disposition afin de châtier le renégat. L’émir le remercia, lui suggérant
plutôt d’utiliser ces soldats pour ramener à la raison ceux qui persistaient à
défier son autorité.
En fait, Abdallah était inquiet de
l’ampleur prise par cette affaire. On lui avait signalé l’arrivée, à la tête de
plusieurs centaines de guerriers, d’un illuminé nommé Abd al-Rahman Ibn Salib
Ibn Saïd, originaire de Nakur en Ifriqiya. Ce dernier avait traversé la mer
avec ses hommes pour mener le djihad, la guerre sainte, contre
l’apostat. Le monarque redoutait que les Abbassides n’exploitent cette ferveur
populaire pour faire passer en al-Andalous des contingents à leur solde et
tenter de le détrôner. Il fit prévenir discrètement Samuel Ibn Hafsun de
l’itinéraire emprunté par cette troupe remuante qui tomba dans une embuscade.
Son chef et une poignée de guerriers
parvinrent à s’échapper à grand-peine et gagnèrent al-Mariya d’où ils
s’embarquèrent à destination de l’Ifriqiya.
Dans son repaire de Bobastro, Samuel
Ibn Hafsun avait réuni ses conseillers pour examiner avec eux sa situation
qu’il jugeait plutôt satisfaisante, à quelques détails près. Après sa
conversion, Alphonse III l’avait invité à lui rendre visite à Oviedo et il
avait été reçu avec les honneurs dus à un prince de sang royal. Les frères de
Gundisalvus s’étaient disputés le privilège de l’héberger dans leurs palais
dont il avait déploré l’inconfort. Comment des hommes de leur rang
pouvaient-ils habiter des demeures aussi sombres, aussi mal chauffées et aussi
mal meublées ? Félix, Sisebut et Ataulfus l’avaient conduit chez le
monarque, qui l’avait chaleureusement accueilli en leur disant :
— Je suis heureux, mon cher
Samuel, de ta présence et j’ai remercié Dieu de t’avoir ouvert les yeux et fait
comprendre que Son Fils, mort sur la croix pour racheter nos fautes, est le
Sauveur annoncé par les Écritures. Tout à l’heure, nous irons entendre la
sainte messe pour glorifier Son nom.
— Tu me fais là une faveur
insigne et je te prie à l’avance d’excuser mes maladresses. Le prêtre qui m’a
baptisé n’a guère eu le temps de m’instruire de mes devoirs.
— Les voies du Seigneur sont
impénétrables. Il se révèle de façon subite à ceux qu’il juge digne de Ses
bienfaits et je te pardonne ton ignorance.
— Je me réjouis à l’idée de
signer un traité d’alliance avec toi et de donner ainsi une bonne leçon à notre
plus implacable ennemi, Abdallah.
Le chef rebelle passa plusieurs
semaines à Oviedo, accompagnant souvent Alphonse III à la chasse, leur
distraction favorite. Son trésorier, Abdallah Ibn Tarik, le tenait au courant
de la progression des négociations car les deux parties ne voulaient rien
laisser au hasard. Enfin, le texte fut définitivement mis au point, ce qui fut
le prétexte à de multiples réjouissances brutalement interrompues. Des
messagers prévinrent Samuel Ibn Hafsun de l’attaque d’une colonne commandée par
un guerrier originaire d’Ifriqiya et il se précipita pour l’écraser grâce aux
indications obligeamment transmises par l’émir.
Pour lui prouver qu’il n’était pas
un ingrat, le rebelle dépêcha à Kurtuba une délégation composée de son second,
Saïd Ibn Walid Ibn Mustana, et de quelques officiers. Saïd Ibn Walid Ibn
Mustana était un vieux complice. Jadis, il avait guerroyé contre lui, puis les
deux hommes s’étaient alliés, faisant prisonnier un général d’Abdallah, Ibrahim
Ibn Khemis, auquel Samuel Ibn Hafsun décida de rendre sa liberté. L’envoyé du
renégat dut patienter avant d’être reçu par le monarque dont le ton n’était
guère amical.
— Je suppose que tu es venu
faire ta soumission car il te déplaît de servir un apostat, lui dit-il.
— D’autres que moi l’ont fait
et j’ai vu leurs têtes clouées sur
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