Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
une question d'instants, désormais.
--Regardez ! s'écria Cratère. Il bouge les lèvres... "
Oxathrès s'agenouilla à côté du roi et approcha l'oreille de sa bouche.
Puis il se leva, les yeux luisants de larmes.
" Il est mort, dit-il d'une voix tremblante. Le Grand Roi Darius III est mort. "
Alexandre se releva et lui demanda: " A-t-il dit quelque ~hose ? Es-tu parvenu à entendre ses paroles ?
--Il a dit... "vengeance" ! ", répondit-il.
Alexandre observa son ennemi, il scruta le regard vitreux qui durant la bataille d'Issos, s'était un instant fixé sur lui, plein d'effroi. Il éprouva une grande pitié pour cet homme qui, quelques mois plus tôt, occupait encore le trône le plus impor tant de la terre, vénéré comme un dieu par des millions de ~jets, et qui gisait maintenant sur une route poussiéreuse,
trahi et tué par ses propres amis. Les vers de la Chute d'llion qui décrivaient le corps inerte de Priam, tué par Néoptolème lui vinrent à
l'esprit:
Ci-gît le roi de l'Asie
celui qui fut puissant seigneur d'armées
comme un arbre abattu par la foudre,
un tronc abandonné, un corps sans nom.
Il murmura: " C est moi qui te vengerai. Je te le jure. " Et il lui ferma les paupières.
Alexandre à Sisygambis, Grande Mère Royale, salut !
Ton fils Darius est mort. Non de ma main, ni de celle de mes hommes. Il a été tué par ses propres amis, qui l'ont abandonné au bord de la route menant à Hécatompyles.
quand je l'ai trouvé, il respirait encore, mais nous n'avons rien pu faire pour l'aider, sinon lui jurer de venger sa mort ignominieuse. sa dernière pensée a sans doute été pour toi, comme l'est à présent la mienne.
Cette mort me blesse autant que lui, car elle nous a privés tous deux d'un affrontement loyal, d'un face-à-face d'o˘ se seraient détachés un vainqueur et un vaincu, et qui aurait en tous les cas rendu hommage au courage du malheureux per dant.
Je t'envoie son corps afin que tu puisses le serrer contre ta poitrine une dernière fois, et le pleurer en l'accompa gnant à sa dernière demeure.
Il a été préparé pour qu'il puisse affronter sans dommages le long voyage qui mène aux rochers de Persépolis, o˘ l'attend la tombe qu'il a fait creuser près de celles des autres rois.
Organise les funérailles les plus solennelles qui soient. quant à moi, je ne m'arrêterai pas tant que je n'aurai pas débusqué ses assassins et vengé
sa mort. Il n'y a pas de douleur plus grande pour une mère que de perdre sc~ fils,
mais, je t'en prie, ne nourris pas de haine à mon égard. Les dieux t autorisent à le pleurer et à l'enterrer selon ses cou tumes ancestrales. Ma m~re, qui m'attend depuis plusieurs années, n'aura peut-être pas ce droit.
Sisygambis referma la lettre et pleura longuement dans l'in timité de sa chambre, puis elle appela les eunuques et leur ordonna de préparer une charrette et des chevaux, ses vête ments de deuil et des offrandes funéraires. Elle se mit en route le lendemain et traversa le pays des Uxiens, en faveur de qui elle avait intercédé auprès d'Alexandre afin qu'ils ne soient pas arrachés à leur patrie.
En apprenant que la reine mère allait à Persépolis pour y enterrer son fils, le peuple entier se rassembla le long du sen tier: hommes, femmes, vieillards et enfants accueillirent en Silence la vieille s~}uveraine, accablée de douleur, et l'escor tèrent jusqu'aux confins de leurs terres, jusqu'au haut plateau al,'o˘ l'on apercevait désormais les ruines de la capitale incen diée, les colonnes du palais du solstice, tels les troncs pétrifiés d'une forêt dév~rée par le feu.
1~ Sisygambis s'arrêta aux portes de la ville détruite et donna l'ordre qu'on lui monte sa tente. Elle commença un je˚ne et ~bserva jusqu'à ce qu'elle vît apparaître, au bout de la route ~enant d'Ectabane, le char tiré
par quatre chevaux noirs qui transportait le corps de son fils.
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Alexandre partit sans tarder à la poursuite de Bessos et de ses complices. Il arriva le lendemain dans la ville d'Héca tompyles, o˘ le chef perse rendit les armes sans combattre, et rallia ensuite Zadrakarta, dans le pays des Hyrcaniens. Devant I'armée s'ouvrait désormais l'immense étendue de la mer C~spienne.
Là, le roi se promena, pieds nus, sur les galets du riva~e baignés par les flots, et ses compagnons le suivirent, remplis d'étonnement et de perplexité face à ces confins liquides, qui marquaient, au nord, la limite de leur marche.
"
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