Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
chacun d'eux, Alexandre eut un regard, un signe de la tête ou un mouvement imperceptible des lèvres.
Il vit ses soldats, les compagnons de mille aventures, les hommes de fer qui avaient dompté le Nil, le Tigre, l'Euphrate et l'Indus, il vit leurs visages creusés par le froid et br˚lés par la chaleur, il vit leurs joues velues trempées de larmes, puis, soudain, il ne vit plus rien. Il entendit les pleurs désespérés de Roxane et les sanglots de Leptine, ainsi que la voix de Ptolémée, qui disait: " C'est fini... Alexandre est mort. "
Il songea à sa mère, il songea à son attente vaine et amère. Il eut l'impression de la voir, sur une tour du palais, tandis qu'elle criait, pleurait, l'appelait désespérément: " Alexandre, ne t'en va pas, reviens-moi, je t'en prie ! " Et ces cris sem blèrent le ramener un instant à la vie. Mais ces mots, ces cris et ce visage s'évanouissaient maintenant, se perdaient dans le vent... Une plaine immense, une prairie fleurie s'étendait devant lui, et il entendait un chien aboyer. Ce n'était pourtant pas l'aboiement sombre de Cerbère ! C'était Péritas ! Il courait vers lui, ivre de joie, comme le jour o˘ son maître était rentré d'exil. Et voilà
qu'un martèlement de sabots secouait la prai
rie, voilà qu'un hennissement y résonnait. Oui, Bucéphale galopait vers lui, la crinière au vent, il l'accueillait sur son dos, comme jadis à Miéza quand ils s'étaient vus pour la première fois. Alexandre criait: " Vas-y, Bucéphale ! " Et l'étalon s'élan çait comme un Pégase ardent, en une course effrénée vers l'horizon, vers la lumière infinie.
" Ton corps était encore chaud quand nous commenç‚mes à nous disputer ton héritage. Nous continu‚mes à nous que reller pendant des années. Tu n'étais plus là, et le rêve qui nous avait unis avait disparu avec toi. Leptine voulut te suivre, et nous la trouv‚mes agonisante au pied de ton lit, les veines ouvertes. La reine mère Sisygambis se couvrit le visage d'un voile noir et se laissa mourir d'inanition. Roxane décida de vivre afin que ton fils puisse vivre aussi.
" Perdiccas réalisa son rêve en épousant Cléop‚tre, mais il fut le premier à tomber dans la tentative de sauver ton empire. Il mourut sur le champ de bataille contre mes armées. Pauvre Perdiccas !
" C'était étrange: nous avions beau nous combattre dure ment en nouant et en dénouant nos alliances, nous n'arrivions pas à nous haÔr, nous rest‚mes même de bons amis pendant un certain temps. quelques années après ta mort, nous nous réunîmes tous à Babylone pour signer un accord. Mais notre réunion dégénéra bientôt en rixe. Soudain, Eumène surgit de derrière une porte et jeta sur ton trône vide ton manteau et ton sceptre. Alors, comme par enchantement, notre que relle cessa, nos voix s'apaisèrent, nos regards et nos visages devinrent pensifs. Tu étais revenu un instant parmi nous, tu semblais nous être apparu par miracle.
" Nous n'étions pas dignes de toi, et pourtant nous essayions de t'imiter en tout: nous nous faisions représenter dans la même pose que toi, la tête légèrement inclinée sur l'épaule droite, les cheveux rabattus en arrière, même si les nôtres s'étaient raréfiés avec le temps. Mais nous voulions seu lement exploiter ton image. Nous n'avons même pas eu le cou rage de sauver ta famille, détruite, anéantie sans pitié par un 1036
ALEXANDRE LE GRAND LES CONFINS DU MONDE
alinéa au bas d'un traité de partition: "S'il devait arriver quelque chose à l'enfant, la Macédoine reviendrait à..." Comme si nous le condamnions à
mort. quelle horreur: ta femme, ta mère, ton fils, tous morts... La soif de pouvoir nous avait desséché l'‚me, elle nous avait transformés en monstres.
" Bien vite, nous répudi‚mes tous les épouses perses que tu nous avais données, à l'exception de Séleucos, qui aimait son Apama, et qui lui dédia de magnifiques cités.
" Séleucos... Pendant quelque temps, il fut le nouvel Alexandre, et il parvint presque à ressusciter ton empire. A présent, il est vieux et malade. N~us avons combattu l'un contre l'autre plusieurs fois ou, mieux, nos armées se sont affrontées à la.frontière de la Coelé-Syrie, qu'un autre traité, un des nombreux traités, avait mal définie, mais nous avons conservé de bons rapports, comme de vieux amis.
" J'ignore comment il se porte à présent,- mais il doit, lui aussi, être proche de la fin. quant à moi, j'ai
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