Apocalypse
matérielle qui le rongeait depuis des mois. Le verre était gras et sale. Comme la table où s’entassaient des lettres d’avocat et des factures impayées.
Bérenger les regarda sans sourciller.
Depuis des mois, l’abbé ne s’apitoyait plus sur son sort. De toute façon, la France était plongée dans l’enfer de la guerre contre l’Allemagne, des millions d’hommes étaient morts et personne ne voyait quand cette apocalypse allait se terminer. « Apocalypse », la seule évocation du mot le terrifiait.
Une peur atroce lui tenaillait les entrailles. Une angoisse perpétuelle qui hantait ses nuits. Il secoua la tête comme pour protester, mais le Mal était là, rongeant chaque pensée, brisant tout sursaut de volonté.
Plus que tout, il avait voulu laisser une trace en ce monde. Le secret ne pouvait pas disparaître avec lui. Il avait reconstruit son église en y cachant des indices susceptibles de traverser le temps et de permettre à ceux qui en étaient dignes de le redécouvrir. Il avait réutilisé au mieux le dessin des Bergers .
Saunière emplit à nouveau son verre, les mains tremblantes. Il jeta un œil trouble à l’horloge et tenta de deviner la place des aiguilles. Sa vue avait encore baissé. Il ne distinguait plus les chiffres. Il se tourna vers la fenêtre. La lumière finissait de mourir.
Il réalisa soudain qu’on était un 17 janvier. Il frissonna d’angoisse. Chaque année, cette date sonnait comme un dangereux présage.
Un bruit interrompit sa réflexion. Il tendit l’oreille. L’entrée de la verrière, à l’autre bout de la terrasse, venait de s’ouvrir. La porte claquait contre le parapet. Un vent glacé s’engouffra.
L’abbé se leva.
Dehors, l’obscurité menaçait. Il s’agrippa au parapet et avança à tâtons. Sa tête tournait, ses jambes se dérobaient sous lui. Il voulut garder son équilibre mais il était comme une poupée de chiffon. Tout à coup une douleur fulgurante traversa son cerveau.
Il s’écroula sur les dalles. La nuit venait de s’emparer de lui.
21 janvier 1917
Villa Béthania
Bérenger était étendu sur son lit. Marie et André veillaient à ses côtés. Sa respiration devenait toujours plus faible. Il savait qu’il mourrait en ce jour qui, par une cruelle coïncidence, était un 21 janvier, le même jour de l’exécution de Louis XVI, le dernier roi de France à avoir connu le mortel secret.
D’un geste las de la main, il fit signe à Marie de quitter la chambre. Lévy se rapprocha du moribond.
— J’ai un secret à te confier, mon frère, prononça lentement le curé.
La confession était terminée. Un dernier râle retentit dans la chambre. André se dirigea vers l’horloge et arrêta le balancier. Il appela Marie et lui montra le visage enfin apaisé du curé de Rennes-le-Château.
— Désormais il est en Arcadie, déclara-t-il.
64
Suisse
Canton de Valais, district de Sion
Fondation Arcadia
De nos jours
La bibliothèque semi-circulaire était immense, les rayonnages montaient sur une hauteur de trois mètres. Des échelles coulissantes, mobiles, permettaient d’accéder aux livres les plus anciens. Une baie vitrée, éloignée des précieux ouvrages, laissait passer une lumière froide venue du nord.
Sur le mur attenant à la fenêtre, il y avait un grand tableau, copie plutôt brouillonne des Bergers d’Arcadie.
— Décidément, ce tableau nous aura suivis jusqu’au bout, nota Antoine alors que Cécile s’était assise.
Le père Klems les observait, le visage grave. La porte s’ouvrit, laissant passer un homme en costume gris, chemise blanche et cravate rouge, qui avait l’air d’un directeur de banque.
Le religieux croisa les bras et se tourna vers Antoine et Cécile.
— Je vous présente le père Vittorio Rospiglioli, qui travaille au Vatican.
— Ravi de vous rencontrer, dit l’homme d’un ton chaleureux. Les deux autres membres du conseil arrivent dans un instant. Vous avez fait un bien long chemin jusqu’à nous.
Marcas le salua d’un air méfiant.
— Quel type de travail effectuez-vous au Vatican ?
— Disons que je m’occupe de certaines affaires diplomatiques complexes.
La porte de la bibliothèque s’ouvrit à nouveau. Deux autres hommes d’une cinquantaine d’années, vêtus eux aussi du même costume gris et de la même cravate, firent leur apparition. Marcas ne put s’empêcher de sursauter.
— Vous deux !
— Eh oui. Le destin est
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