Au Fond Des Ténèbres
comme Stangl à fuir l’Europe après la fin du III e Reich.
Mes conversations avec ces prêtres ou autres personnes qui inclinaient à justifier les actes du pape Pie XII et de ses conseillers, m’ont confrontée à un problème moral troublant car j’ai vivement conscience que l’Église représente un facteur précieux de continuité – une stabilité – dans une société aujourd’hui fragilisée. Toutefois, et en dépit de ma répugnance à ajouter aux polémiques sur l’histoire du Vatican et du pape Pie XII, durant la période nazie, la conclusion de mon analyse fut que les faits pénibles que j’avais été amenée à découvrir ne pouvaient pas demeurer ignorés. Il m’a paru essentiel de localiser les responsabilités, ne fût-ce que pour faire ressortir que de nombreux hommes d’Église n’avaient pas partagé l’attitude du Vatican.
Comme la plupart des jeunes Européens de ma génération, je m’étais sentie intensément concernée par les événements de la Seconde Guerre mondiale. J’ai entrepris néanmoins mes recherches avec le moins possible d’idées préconçues et la ferme résolution d’interroger mais non de blesser.
Il faut avouer cependant que la plupart des hommes et des femmes qui ont accepté de raconter et de scruter, en toute honnêteté et au prix de leur tranquillité intérieure, les expériences les plus violentes de leur vie, en sont venus à se révéler eux-mêmes profondément, et cela, non pas à vrai dire, en vue du livre que j’écrivais, mais poussés par leur propre besoin d’explorer le passé. J’ai laissé de côté un petit nombre de choses qui m’ont paru susceptibles soit de les bouleverser, soit de faire tort à des tiers. Il n’en reste pas moins que l’itinéraire entre la découverte de soi à ce degré d’intensité et le fait de voir imprimer ses pensées et ses angoisses, suppose un long cheminement avec lequel bien peu de gens sont familiarisés. Tout ce que je peux souhaiter est que ce livre serve à éclairer ceux qui ont contribué à sa création au lieu de les troubler ou de les faire souffrir.
C’est à travers eux tous que le thème de l’ouvrage s’est développé et cristallisé. Je n’ai pas eu principalement pour objet d’écrire un récit d’horreur, bien qu’on ne puisse éviter l’horreur sur le sujet. Mon effort ne visait pas non plus à la seule compréhension d’un homme impliqué exceptionnellement dans la plus grande tragédie de notre temps. J’ai tenté à la fois de démontrer la fatale interdépendance de toutes les actions humaines et de proclamer que l’homme est responsable de ses propres actes et de leurs conséquences.
Ceux qui vont parler
Au cours de mon enquête, j’ai parlé avec bien d’autres personnes que celles que je cite. Pour la commodité du lecteur, je n’énumère ici, sous six titres de chapitre, que celles dont les déclarations ont fourni une contribution importante à l’étude qu’on va lire.
Le corps du sujet.
Franz STANGL . Surintendant de police à l’Institut d’euthanasie à Schloss-Hartheim, de novembre 1940 à février 1942 ; Kommandant de Sobibor de mars à septembre 1942 ; Kommandant de Treblinka de septembre 1942 à août 1943. Interviewé d’avril à juin 1971 au quartier de détention préventive de la prison de Düsseldorf où il attendait le résultat de son appel après le verdict d’emprisonnement à vie.
Theresa STANGL. Sa femme ; interviewée chez elle à Sao Bernardo do Campo, Brésil.
Helene EIDENBÖCK. Sa belle-sœur ; interviewée chez elle à Vienne.
Anciens S.S. collaborateurs de Stangl.
Franz SUCHOMEL, qui travaillait à la section de photographie du Programme d’euthanasie (1940-1942) et plus tard à Treblinka. Interviewé chez lui à Altötting, Bavière.
Otto HORN, qui travaillait au Programme d’euthanasie en 1941, puis en Russie et à partir de septembre 1942 à Treblinka. Interviewé chez lui à Berlin-Ouest.
Gustav MÜNZBERGER, qui a travaillé au Programme d’euthanasie et, à partir d’août 1942, à Treblinka. Interviewé chez son fils à Unterammergau, Bavière.
Survivants des camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka.
Stanislaw SZMAJZNER, qui a été déporté de Sobibor et avec qui je me suis entretenue à Goiania, Brésil, où il est directeur général d’une papeterie.
Richard GLAZAR, qui fut déporté à Treblinka. Nos conversations ont eu lieu chez lui, dans un petit village suisse,
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