Au Pays Des Bayous
que la fondation de cette colonie d'Amérique fut le résultat d'une annexion territoriale relativement aisée, ensuite parce que la présence française, bien que discontinue, ne donna lieu à aucun de ces affrontements violents qui obèrent de rancœurs persistantes les décolonisations arrachées par les armes.
Si l'on en juge par les efforts que déploient les Louisianais pour maintenir, tant que faire se peut, l'usage de notre langue et protéger un héritage culturel et sentimental dont tous sont fiers, il semble que la France ait laissé, dans cette région du monde, le souvenir d'une mère patrie lointaine, plus velléitaire qu'attentive mais noble et libérale. Les descendants des colons français ne paraissent pas lui tenir rigueur d'avoir, deux fois, abandonné leurs ancêtres : en 1762, quand Louis XV fit cadeau de la colonie à son cousin Charles III, et en 1803, quand Bonaparte la vendit aux États-Unis, après se l'être fait restituer par les Espagnols.
Le lecteur ne devra jamais perdre de vue que l'appellation Louisiane recouvrait, jusqu'à la fin du XVIII e siècle, un vaste territoire s'étendant des Grands Lacs au golfe du Mexique, des montagnes Rocheuses aux Alleghany, soit les superficies additionnées de dix-huit États américains d'aujourd'hui.
On estime que la Louisiane française, en plus de l'État qui porte ce nom depuis 1812, contenait alors les Dakota, Nord et Sud, le Minnesota, le Wisconsin, l'Iowa, l'Illinois, l'Indiana, le Nebraska, le Kansas, le Missouri, le Kentucky, le Tennessee, l'Oklahoma, l'Arkansas, le Mississippi, l'Alabama, une partie du Nouveau-Mexique et les deux tiers du Texas.
C'est pourquoi l'histoire de cette colonie vaut d'être contée. Elle illustre à jamais, pour les Français, la nostalgie d'un grand rêve américain.
Mars 1990
PREMIÈRE ÉPOQUE
Le temps des explorateurs
2.
La vocation coloniale
Une image d'Épinal
Les notaires sont gens utiles. C'est grâce à l'un d'eux, Jacques de La Métairie, présent le 9 avril 1682 dans les bouches du Mississippi, que nous possédons l'acte de naissance de la Louisiane.
Si l'on en croit les témoins, futurs mémorialistes plus ou moins scrupuleux ou louangeurs, ce fut un moment exceptionnel et émouvant. Les siècles et les chroniqueurs bien intentionnés, en chargeant cet épisode historique d'une signification grandiose et romantique, en ont fait le symbole des fondations coloniales.
Peintres et graveurs, s'inspirant des minutes du notaire et des souvenirs des participants, ont brossé de l'événement des tableaux bucoliques et majestueux comme celui peint, vers 1860, par Jean-Adolphe Bocquin 1 .
On y voit, devant une colonne fleurdelisée, le chef de l'expédition, Robert Cavelier de La Salle, conquistador à la mode française, présider à la prise de possession d'un territoire dont il ignore les véritables limites et qu'il a choisi de nommer Louisiane par révérence envers le roi Louis XIV. Seul un condottiere poète était capable, pour désigner au monde sa conquête, d'imaginer un assemblage de syllabes aussi harmonieux qu'un prénom de femme.
Le gentilhomme explorateur a revêtu pour la circonstance un habit bleu, d'autres disent grenat, surbrodé d'or. Il porte écharpe, jabot, manchettes de dentelle et un feutre emplumé sur une perruque cascadante. Il désigne de son épée nue le sol américain et lit l'acte notarié qui assure au roi de France la pleine et entière propriété d'un demi-continent.
Des Indiens musclés, nus, visage peint et occiput planté de plumes, armés d'arcs et de javelots, accompagnés de femmes et d'enfants, suivent le déroulement de la cérémonie avec l'étonnement et l'intérêt que provoque souvent l'incompréhension.
Le tabellion et son instrumentaire, en habit noir, ont l'air de se demander ce qu'ils sont venus faire au milieu de ces Sauvages, réputés bons, dont on confisque le pays. La robe de bure d'un capucin prouve que Dieu patronne cette annexion et, à l'arrière-plan, des militaires, qui paraissent accorder plus d'attention aux croupes dodues des Indiennes qu'au discours de leur commandant, présentent les armes.
Le sabre et le goupillon sont, comme chacun le sait depuis Cortés et Pizarro, instruments universels de colonisation !
En toile de fond, le Mississippi étale jusqu'à l'horizon ses eaux verdâtres sur lesquelles glisse la pirogue d'un pêcheur indien, qui n'a pas jugé indispensable de changer ses habitudes.
Dans le delta, le
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