Au Pays Des Bayous
Prudhomme, qui fournirent au Florentin (peut-être né à Lyon !) les moyens d'une deuxième expédition et quatre navires qui appareillèrent le 11 mai 1526. Cette exploration n'ayant toujours pas permis au navigateur de situer l'isthme dont il estimait l'existence certaine, une troisième expédition fut montée en 1528, toujours avec le concours des Rouennais. C'est au cours de celle-ci que Verrazano trouva la mort. Tombé dans une embuscade avec six de ses compagnons, il fut, comme eux, dépecé et dévoré par les Sauvages sur une île couverte de hautes herbes qui devait être la Jamaïque. Les Florentins de Rouen, qui avaient des intérêts à Dieppe, représentaient une vraie puissance économique et politique depuis qu'Alexandre Farnèse, duc de Parme et gouverneur général des Pays-Bas, venu en France au secours des catholiques, avait forcé Henri IV à lever le siège de la cité normande en 1592, renouvelant ainsi l'exploit accompli devant Paris en 1590.
Les grands marchands rouennais, qui n'étaient pas des philanthropes, ne se contentaient pas de financer des explorations dont ils laisseraient la gloire aux navigateurs mais recueilleraient les profits. Ils avaient été les premiers à construire des raffineries de sucre aux Antilles, ce qui assurait de nombreux mouvements de navires et de fréquents échanges entre sédentaires curieux et marins au long cours.
Le rôle commercial et colonial de Rouen, la ville la plus peuplée de France après Paris, avec près de quarante mille habitants, était donc primordial à l'époque où le jeune Robert Cavelier regardait les bricks, les trois-mâts et les goélettes remonter le fleuve.
Chacun d'entre nous, se référant aux curiosités de sa propre enfance, peut imaginer le fils du drapier flânant sur les quais les jours de congé, humant les senteurs d'épices, essayant de deviner le contenu des ballots et des caisses tirés des cales par les mâts de charge, observant les gestes des matelots au visage buriné par les vents, au teint recuit par le soleil et les embruns salés des tropiques, saisissant des bribes de confidences pas toujours édifiantes pour un élève des jésuites. Ces navires et ces hommes venant d'un autre monde, du Nouveau Monde, prouvaient que l'inconnu était connaissable. Il suffisait peut-être d'une voile, d'un bon vent et d'un peu de courage pour aborder cette cité décrite par le franciscain Marcos de Niza où les hommes raclaient la sueur de leur corps avec des palettes d'or, portaient aux oreilles et aux ailes du nez d'énormes turquoises et se couvraient de tuniques de bison serrées par des ceintures incrustées de pierres précieuses.
L'animation du port, hérissé de mâts, et les mouvements des navires sous voiles prenaient une signification plus concrète au sein de la famille Cavelier. Les conversations portaient fréquemment sur les affaires de Nouvelle-France où un autre fils Cavelier, Jean, de sept ans plus âgé que Robert, missionnaire de l'ordre de Saint-Sulpice, se dévouait au salut des âmes des Huron. La vue des vaisseaux aurait suffi à inspirer au garçon des idées de partance et d'aventure ; l'engagement des siens dans les affaires coloniales et l'évangélisation des Sauvages lui ouvrait les carrières confusément convoitées.
L'ambiance du collège ajoutait aux rêves d'aventure et d'exploration le cautionnement mystique dont un garçon pieux ne pouvait se passer. Entre deux cours, les pères racontaient les succès évangéliques, les tribulations et parfois le martyre d'anciens du collège devenus missionnaires chez les Iroquois et les Huron.
La Nouvelle-France étant placée sous l'autorité de l'archevêque de Rouen, les rapports étaient constants entre la ville et les lointains territoires où les jésuites, pères et novices, se montraient très actifs. Remy de Gourmont évalue à plus de soixante le nombre des membres de la Compagnie qui, après la mort de Champlain, de 1635 à 1647, avaient exploré la région des Grands Lacs. Le père Jean de Brébeuf, professeur de grammaire de Corneille, et le père Charles Lallemand avaient déjà accompagné Champlain, lors de son voyage au Canada, en 1625. De retour à Rouen, ils n'avaient pensé, avant de repartir, qu'à susciter des vocations de convertisseurs coloniaux en racontant leurs pérégrinations, et surtout en faisant instruire au collège, puis baptiser à la cathédrale, le gentil Huron Amantacha, en français Castor, ramené en
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