Au pied de l'oubli
présence de
Timmy provoquait toutes sortes de réactions. Plusieurs ne se cachaient pas pour
dire que c’était inacceptable de sortir en public avec ce… ce monstre… Pour
certains, c’était ce que Timmy était.
Pierre et Mélanie avaient laissé leur traîne sauvage un peu plus loin. Ils
réinstallèrent Dominique dedans.
— Il dort debout… dit Mélanie en voyant son fils bâiller.
Pierre prit la corde et tira la longue luge de bois. Timmy voulut s’y asseoir
aussi.
— Ah non, t’es trop pesant !
— C’est pas juste ! Moi aussi, mes jambes font dodo en marchant !
— Tire à la place, fainéant !
Amoureux, le couple marcha main dans la main derrière le traîneau.
— Avec un deuxième en route, Pierre, je… je voudraisvraiment
qu’on aille vivre ailleurs. On vit l’un sur l’autre avec tes parents pis
Timmy.
Pierre eut un drôle de sourire. Mélanie n’en fut pas consciente.
— Ça fait un gros mois que j’ai pas de job, dit-il pis je commence à virer fou
dans la maison. Je sais pas comment tu fais… Ma mère est pas endurable.
— T’exagères. Elle prend beaucoup de place, c’est vrai, mais j’me suis attachée
à elle.
— Ça te dérange-tu, Mélanie, si on fait un petit détour ? l’interrompit Pierre
en arrivant à une intersection.
— Ben non, c’est plaisant, cette promenade en famille.
Pierre reprit la corde de la luge. Ce serait plus facile pour descendre la
côte.
— Donne la main à Mélanie, mon Timmy.
Pierre craignait toujours que son protégé se fasse renverser par une voiture.
Qui sait, avec lui ? Il pouvait décider de traverser la rue pour aller dire bonjour, bonjour à quelque passant, chat ou chien !
— On va l’avoir, notre chez-nous, dit Pierre. Avec la bonté de Miss Harrington,
c’est plus un problème.
— Il faut en garder le plus possible. Pour l’avenir pis les études de
Dominique.
— Et de notre future fille.
Il était si heureux de la nouvelle. Pierre fit taire son inquiétude quant au
déroulement des prochains mois. Il fallait bien faire un peu confiance à la
vie !
— Comment on va l’appeler ? demanda-t-il.
— J’ai pensé à un prénom qui ferait autant pour une fille que pour un garçon :
Michel ou Michelle.
— C’est joli…
Pierre s’arrêta de marcher.
— Qu’est-ce qui se passe ? dit Mélanie.
— Je voudrais te montrer quelque chose… C’est pour ça qu’on est passés sur
cette rue.
— Me montrer quoi ?
— Notre boulangerie !
D’un grand geste de la main, Pierre désigna la bâtisse de l’autre côté de la
rue.
— Monsieur Tremblay me la vendrait à un bon prix. Le pauvre est allergique à la
farine. Le docteur lui a dit de vendre s’il voulait pas mourir.
Avec effervescence, il continua :
— J’ai le temps de me promener en ville de ce temps-ci. J’ai vu la boulangerie,
je suis rentré pis on s’est mis à jaser. On a parlé de pain, bien sûr. Il y a la
grande maison, un logement pour mes parents au-dessus, la boulangerie en
arrière. Pis y a un autre grand local. Je sais pas ce qu’on pourrait faire avec.
Le louer peut-être ? Que c’est t’en penses ?
Pierre se tut, guettant la réaction de Mélanie.
— T’es sérieux ? dit-elle. C’est vraiment ce que tu veux ? Être
boulanger ?
— Mélanie, je suis tellement énervé. J’en pouvais plus de rien te dire. Quand
j’ai vu la boulangerie, ç’a été un coup de cœur. J’ai rien signé encore.
J’attendais ton avis, tu sais bien.
— Pierre, j’suis pas contente… commença Mélanie d’un air sérieux.
Elle sauta dans les bras de Pierre.
— Je suis très, très contente ! Une boulangerie ! Notre boulangerie ! Mon Dieu,
j’en reviens pas... On pourrait faire aussi des brioches, des petits pains
ronds, des tartes...
— Timmy aime le pain aux raisins, l’interrompit le handicapé. Avec beaucoup,
beaucoup de raisins.
— Et du pain aux raisins ! ajouta en riant Mélanie.
— Alors, on l’achète ? demanda Pierre.
— On l’achète ! Pis pour le local, j’ai ma petite idée. Quand j’imaginais la
maison Marie-Ange, ça sentait le bon pain chaud… Je sais pourquoi
maintenant.
— François-Xavier, on est bien, non ?
— Oui, Julianna.
La tête appuyée sur l’épaule de son mari, Julianna aurait aimé arrêter le
temps. Une épaisse fourrure sur les genoux, enlacé dans un
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