Au pied de l'oubli

accouché d’un deuxième garçon que le couple avait décidé de
     prénommer Daniel. Timmy était excité et avait une foule de choses à raconter.
     Malheureusement pour lui, la présence d’Hélène à Chicoutimi éclipsa tout le
     reste. Timmy fut relégué au salon à surveiller Dominique. Dans la cuisine, les
     adultes devaient avoir une discussion sérieuse. François-Xavier était parti
     travailler. Hélène restait silencieuse. Autour d’une tasse de café, Julianna
     résuma à Pierre et Mélanie la situation. La nouvelle causa tout un choc à
     Pierre. À ses yeux, l’Indien était encore un adolescent. Il l’avait toujours un
     peu traité comme un petit animal familier. Il lui était difficile d’ajuster ses
     pensées avec la réalité d’un homme amoureux de sa cousine.
    — C’est une grosse décision, Hélène, que tu prends là ! lui avait-il gentiment
     dit. Es-tu bien certaine de vouloir t’embarquer là-dedans ?
    Pierre avait admiré l’aplomb avec lequel elle l’avait assuré de
     ses sentiments pour l’Indien.
    — Simon et moi, avait-elle dit, on va se marier, envers et contre tout.
    Pierre en était venu à la même conclusion que sa mère. Si c’était ce qu’Hélène
     désirait, que pouvaient-ils tous y faire ? Mais comment procéder ? Julianna
     avait pensé au curé Duchaine. Lui saurait les aider. Pierre était allé le
     chercher à Arvida. Devant la détermination d’Hélène, le curé aussi se rendit à
     l’évidence. Hélène ne reculerait devant aucun obstacle pour se marier avec
     Chapeau. Cependant, avec son ouverture d’esprit, sa bonté, il dédramatisa de
     beaucoup la situation. Il téléphona au curé de Pointe-Bleue et ils convinrent
     d’un arrangement qui se révéla une solution fort envisageable.
    — Écoute-moi bien, ma belle Hélène, lui dit-il avec gentillesse après avoir
     raccroché. Tu seras hébergée au presbytère de la réserve. Cela te donnera
     plusieurs semaines pour te familiariser avec la réalité du village indien.
     Là-bas, la famille, c’est très important. Ils ont leur chef aussi. Enfin, ton
     Simon va pouvoir te fréquenter. Au mois d’avril, si tu le désires encore, le
     mariage aura lieu. Qu’est-ce que tu penses de cette idée ?
    Hélène se retint pour ne pas sauter au cou du religieux. Le curé ajouta :
    — En échange du gîte et du couvert, tu pourrais effectuer quelques tâches au
     presbytère ou peut-être au pensionnat.
    — J’ai tout ce qu’il faut pour enseigner ! Je peux aussi cuisiner ou faire le
     ménage ou...
    Le curé l’interrompit.
    — Tu vas te rendre utile, j’en suis certain. Ils sont prêts à t’accueillir dès
     demain si tu veux.
    Les yeux brillants, Hélène regarda sa tante.
    — Pensez-vous que mon oncle pourrait me reconduire ?
    — Je ne sais pas, Hélène, lui répondit Julianna. Quand François-Xavier
     rentrera, je lui demanderai.
    — Pas besoin de déranger papa, intervint Pierre. Avec Jean-Baptiste, il ébauche
     le plan d’une maison qui reviendrait pas cher à construire. En attendant, y a
     pas d’ouvrage pour moi. Demain, Hélène, on montera à Pointe-Bleue. J’en
     profiterai pour avoir une petite discussion avec… Simon. Il va devoir m’assurer
     de faire le bonheur de ma cousine.
    Malgré un ton badin, personne ne douta du sérieux de Pierre. Avec affection,
     Hélène lui sourit. Elle savait maintenant qui lui donnerait le bras pour la
     mener à l’autel.
    — Venez, monsieur le curé, allons nous asseoir dans le salon, l’invita
     Julianna. Nous pourrons jaser un peu.
    — Envoyez-nous Dominique pis Timmy dans la cuisine, dit Mélanie. J’vas
     commencer à préparer le repas.
    — Tu touches à rien, je m’occupe du souper à soir, décréta Hélène, le cœur
     léger. Merci encore beaucoup, beaucoup, monsieur le curé.
    — Je n’ai pas fait grand-chose, Hélène.
    — Je vous ramène quand vous le voulez, monsieur le curé, dit Pierre.
    Le curé Duchaine regarda sa montre.
    — Disons dans une quinzaine de minutes, si ça te convient.
    — Ah, Pierre ! s’exclama Julianna, avant que j’oublie, il y a une lettre
     importante pour toi.
    — Ah oui ? De qui ?
    — D’un bureau de notaire de la Gaspésie. Tu l’as reçue pendant ton séjour à
     Normandin. Elle est dans le tiroir du secrétaire d’entrée.
    Intrigué, Pierre se dépêcha d’aller prendre connaissance du
     contenu de l’enveloppe.
    Le curé suivit