Aux armes, citoyens !
Bonaparte de feuilleter quelques-uns de ces
journaux pour constater que les Républiques sœurs se sont effondrées, que les
troupes de la coalition s’apprêtent à franchir les frontières de la nation.
Voilà les conséquences de la politique de Barras, de Reubell,
de François de Neufchâteau.
« Les misérables ! s’écrie Bonaparte. Est-il
possible ! Pauvre France ! Qu’ont-ils fait ? s’exclame-t-il. Ah
les jean-foutre ! »
Il lit les articles avec avidité, découvrant en une seule
nuit les événements qui se sont produits les mois précédents.
Les Directeurs ont été changés, Reubell, « un lourdaud
bien épais, bien crasseux, ruminant six mois la même idée, changeant de vin à
chaque service, menant le Directoire comme un cocher de fiacre mène ses chevaux »,
n’est plus Directeur et une commission va enquêter sur ses malversations.
Quant à Barras il est toujours en place, mais méprisé.
Plus que Néron mon vicomte est despote
Se pavanant dans sa rouge capote
Ce roi bourreau pérore sur un ton
Dont rit tout bas le badaud dans sa crasse
C’est Arlequin, pantalon en paillasse
Contrefaisant les airs d’Agamemnon.
Les journaux n’épargnent aucun des nouveaux Directeurs, ni
Sieyès, ni Ducos, ni Gohier, ni ce général Moulin qui n’a combattu que contre
les Vendéens.
Bonaparte relève que le régicide Fouché est ministre de la
Police, que le général Bernadotte, qui a épousé Désirée Clary, est ministre de
la Guerre, et Cambacérès ministre de la Justice.
La nuit s’écoule et Bonaparte découvre l’état de la France.
Les chouans ont pris Le Mans.
Les royalistes assiègent Toulouse.
Les campagnes sont parcourues par des bandes de jeunes gens,
déserteurs refusant de se plier à la loi créant le service militaire
obligatoire, et devenant pillards, détrousseurs, brigands.
Le pays vomit ce Directoire qui vient de créer de nouvelles
taxes, car le Trésor public a besoin de cent millions.
Les ateliers ferment pour éviter d’être taxés. Les riches s’en
vont. Le chômage s’étend.
Le Directoire craint la révolte, un coup de force
monarchiste soutenu par les anarchistes.
Pour s’en protéger les Conseils votent la loi des otages, qui
fait craindre un retour de la loi des suspects, de la Terreur.
Nobles, parents d’émigrés, ascendants de suspects, seront
arrêtés comme otages, dans l’attente de l’arrestation des auteurs d’attentats,
de rébellions, d’assassinats politiques.
Bonaparte lit dans le Courrier de Londres :
« Les malheureuses suites des deux lois sur les taxes
et les otages sont incalculables. La première anéantit toute espèce d’affaires.
La seconde menace la société entière d’une dissolution prochaine. »
Sur quatre-vingt-six départements français, quatorze sont en
révolte et quarante-six connaissent une situation tendue, et le brigandage s’y
confond avec la rébellion politique.
Il faut regagner au plus tôt le pays irrité et déçu.
Et son impatience est d’autant plus vive que Bonaparte a l’impression,
en lisant les articles consacrés aux courtisanes, aux maîtresses de Barras, aux
élégantes, qu’on lui parle de Joséphine de Beauharnais, coquette et volage.
Il l’imagine en costume grec, qui peu à peu s’est réduit à
une simple chemise, avec quelques voiles qui flottent autour.
Grâce à la mode
On n’a plus de corset
Ah, que c’est commode
…
Grâce à la mode
Une chemise suffit
C’est tout profit
…
Grâce à la mode
On n’a rien de caché
Ah, que c’est commode…
Et pendant qu’on se pavane, que les Directeurs remplissent
leur ventre pourri, les Jacobins rouvrent un club à Paris, d’abord salle du
Manège, puis rue du Bac.
Et l’on se plaint des brigands, du prix du pain, de la
friponnerie des Directeurs, de Barras, « talon rouge et bonnet rouge »,
vicomte et terroriste, roi de la République.
L’on enrage de voir les armées de la nation reculer devant
les Russes, les Anglais, les Autrichiens.
Les persécutions s’abattent, dans les régions reconquises, sur
ceux qu’on accuse d’être des Jacobins.
Les paysans s’en mêlent. Ces « Viva Maria » se
sont emparés de Sienne, ont massacré les Jacobins, et brûlé vifs sur la grande
place treize Juifs dont des femmes et des enfants !
On pend, à Naples, les « patriotes ».
Et l’on craint que si la nation est envahie, si les chouans
l’emportent, cette Terreur blanche ne
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