Aux armes, citoyens !
territoires que l’on conquiert ?
Pourquoi massacrer les prisonniers, voir mourir les
meilleurs des soldats, ceux qui avaient vaincu à Lodi, à Arcole, à Rivoli, et
que la peste empoisonne à Jaffa, si le blocus anglais étrangle les Français ?
Qu’apprendra-t-on à Paris de ces cruautés, de ces
souffrances, de ces victoires, de ces actes d’héroïsme ?
Saura-t-on que Bonaparte n’a pas hésité à toucher, à
embrasser à Jaffa les soldats pestiférés ?
Bonaparte voudrait qu’à Paris on célèbre son courage et sa
gloire. N’a-t-il pas mis ses pas dans ceux de César et de Pompée, d’Alexandre
et même du Christ ?
Il doit, s’il veut s’approcher encore plus près du pouvoir, conforter
et enrichir sa légende.
Mais il faut que pour cela le récit de ses exploits
parvienne aux journaux parisiens. Et dès lors des navires – et il en reste peu
– doivent quitter la côte égyptienne, forcer le blocus. Mais comment savoir s’ils
ont atteint la France ?
Et aucun navire n’arrive des ports français, comme si on
avait oublié que le plus glorieux des généraux français est en Égypte, à la
tête de trente mille hommes.
Bonaparte écrit à son frère Lucien, qui a été élu au Conseil
des Cinq-Cents.
Il l’interroge. Quelle est la situation du Directoire ?
Est-ce le moment de rentrer en France ? S’exclame-t-on « Ah ! si
Bonaparte était là ! » ? Et que devient Joséphine, femme
séductrice, volage, corps offert, femme de plaisir ?
Bonaparte est amer.
Il écrit :
« Je suis ennuyé de la nature humaine. Les grandeurs m’ennuient.
Le sentiment est desséché. La gloire est fade. À vingt-neuf ans j’ai tout
épuisé. Il ne me reste plus qu’à devenir franchement égoïste. »
Mais qui se soucie à Paris des états d’âme du général
Bonaparte ? La lutte politique fait rage entre les Jacobins rescapés du
coup d’État du 22 floréal, et les Directeurs, et dans cette partie, Bonaparte n’est
qu’un absent. Il ne pèsera que s’il rentre dans le jeu en regagnant la France. Et
comment le pourrait-il ?
Un Bonaparte inquiète Barras et Reubell, mais il se prénomme
Lucien ! Et il ne sera vraiment dangereux que si son frère lui apporte l’inestimable
appui de sa gloire.
Et on ne revient pas d’Orient aussi aisément que d’Italie !
Alors on oublie Napoléon Bonaparte, même si l’on s’irrite de
la campagne que mène en sa faveur Lucien, qui ne cesse de répéter, chaque fois
qu’il prend la parole : « Ah ! si le général pacificateur était
là ! Il crèverait ces “ventres dorés et pourris”. »
Car c’est toujours la corruption et l’enrichissement des
Directeurs, et de tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir, qui
révoltent les citoyens.
Une commission chargée d’enquêter sur la « démoralisation
du peuple » dresse un constat effrayant :
« Il n’existe aucune partie de l’administration où l’immoralité
et la corruption n’aient pénétré, peut-on lire dans le rapport qu’elle soumet
aux Conseils. Une plus longue indulgence nous rendrait complices de ces hommes
que la voix publique accuse. Ils seront frappés du haut de leurs chars
somptueux et précipités dans le néant du mépris public, ces hommes dont la
fortune colossale atteste les moyens infâmes qu’ils ont employés à l’acquérir. »
On vise Barras et Reubell.
Et la colère est d’autant plus forte que la misère serre
encore un peu plus la gorge des pauvres.
Dans les faubourgs on est affamé. Et on sait que les
directeurs banquettent ! Qu’ils ont chaud dans les restaurants du
Palais-Royal ou dans les hôtels particuliers où ils se
retrouvent alors qu’on gèle dans les taudis.
« Le froid est si rigoureux que les aigles des Alpes
paraissent avoir trouvé à Paris la même température que dans les hautes
montagnes. On en a tué un près de Chaillot. »
Barras est inquiet.
La police rapporte que le chômage s’étend parce que les
bateaux ne peuvent plus naviguer sur la Seine prise par les glaces. Les
matériaux manquent. Les artisans ferment leurs ateliers. Et les ouvriers
tiennent des « propos atroces » sur le gouvernement.
Et ces souffrances, cette misère, ne sont pas compensées par
les victoires des armées de la République.
Bonaparte avait imposé la paix aux rois et fait surgir des
Républiques sœurs.
Toute cette construction s’écroule.
Les paysans belges, italiens se révoltent
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