Aux armes, citoyens !
aux principes
républicains. »
Ruault ne se doute pas, lorsqu’il écrit cette lettre, le 11
juin 1793, que Marat, Robespierre, Danton, ces hommes qu’il ne veut pas suivre
et qu’il craint, sont, malgré les citoyens qui les soutiennent et applaudissent
leurs discours, eux-mêmes saisis par l’inquiétude, une sorte d’hésitation, et
même la tentation du retrait.
Marat est malade, le corps dévoré par cette maladie de peau
qui l’oblige, en ce printemps 1793, déjà chaud, à tenter de retrouver un peu d’apaisement
en passant des heures dans son bain.
Il y lit. Il y écrit.
Il manque d’argent. Son Publiciste de la République française, ce journal qu’il tente de diffuser, ne se vend pas, et donc ne se lit guère.
« Les dégoûts que j’éprouve sont à leur comble, écrit
Marat. Permettez que je respire un instant. C’est trop d’avoir à combattre la
scélératesse des ennemis de la liberté et l’aveuglement de ses amis… »
Il survit, grâce au dévouement de Simone Évrard, une
ouvrière à laquelle il a, en janvier 1792, promis le mariage sans donner suite
à ce projet.
On continue cependant à l’insulter et cette avalanche d’injures
l’affecte.
Il lit dans le Journal français :
« Comme ces chiffonniers qui fouillent sans cesse dans
les tas d’ordures, les Parisiens ont judicieusement fouillé dans la lie la plus
fétide de la nation pour en extraire un Dieu et ce Dieu c’est Marat. Juste ciel !
Quelles idoles, quel culte et quels adorateurs !
« Ô ma patrie, étais-tu donc réservée à ce comble d’opprobre
et d’ignominie… Quel titre peut avoir Marat à leur amour, lui que la nature a
condamné à la plus déplorable nullité ?… Il en a de très réels : depuis
quatre ans il n’a jamais ouvert la bouche que pour dire : pille ou tue. Jugez
s’il doit être adoré ! »
Marat est épuisé, irrité, accablé.
Il prend la décision de « suspension volontaire »
de sa charge de député.
« Impatient d’ouvrir les yeux de la nation abusée sur
mon compte par tant de libellistes à gages ; ne voulant plus être regardé
comme une pomme de discorde et prêt à tout sacrifier au retour de la paix, je
renonce à l’exercice de ces fonctions de député jusqu’après le jugement des
députés [girondins] accusés. »
Mais cette lettre adressée à la Convention n’a que peu d’écho.
« Depuis trop longtemps la Convention s’occupe des
individus, dit le député Basire. Il faut enfin parler des choses. »
On vote la Constitution de l’an I, qui sera soumise au
peuple, et le 27 juin, pour saluer son adoption par les députés, on tire le
canon, on organise une fête civique au Champ-de-Mars.
Mais elle n’a pas grand retentissement.
« On dit tout haut, rapporte un bulletin de police, que
la Convention promet beaucoup mais n’agit pas. »
Et pourtant, elle adopte une série de mesures qui devraient
séduire les sans-culottes, les plus pauvres.
Ainsi, les enfants naturels, si nombreux, exclus jusqu’alors,
sont admis à la succession.
Ainsi, les riches sont contraints de contribuer à un emprunt
forcé de un milliard.
Ainsi, on affirme le principe des « secours publics »
aux citoyens démunis.
Mais malgré cela, l’insatisfaction, le scepticisme, la
passivité demeurent.
Et Marat reconnaît avec amertume que peu de choses ont
changé depuis quatre ans, par le « défaut d’énergie et de vertu des
patriotes qui siègent dans l’Assemblée ».
Et il est d’autant plus affecté qu’il reçoit de plus en plus
souvent des lettres de menaces.
Il ne craint pas la mort, mais la haine dont ces missives
témoignent le blesse.
« Ton châtiment se prépare », dit l’une.
« Apprends, dit une autre, que tu ne commettras plus
impunément les crimes qui t’ont renommé… l’orage ne doit pas tarder à éclater… Et
tu expireras justement dans les tourments dus au plus scélérat des hommes. »
Marat s’ébroue. Simone Évrard tente de l’apaiser, en passant
sur sa peau irritée des serviettes humides. Mais les démangeaisons ne cessent
pas, et la lecture des journaux, des lettres reçues, avive l’amertume de Marat.
Et sa peau brûle.
Il a le sentiment d’être le meilleur, le plus lucide de ceux
vers qui le peuple se tourne.
Que valent les autres ?
Danton est un corrompu, à la fortune récente, acquise sans
doute en puisant dans les coffres des ministères et peut-être dans ceux
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