Aux armes, citoyens !
font circuler des « listes noires » de
proscription qu’ils les lui attribuent. Et de cette manière, ils espèrent que
tous ceux qui se sentiront menacés se ligueront contre celui qu’à mi-voix, ils
appellent le « tyran », le « dictateur ».
Robespierre, au club des Jacobins, rejette ces accusations, stigmatise
une conspiration qui prend sa source à l’étranger.
« À Londres, dit-il, on me dénonce à l’armée française
comme un dictateur. Les mêmes calomnies sont répétées à Paris. Vous frémiriez
si je vous disais dans quel lieu ! »
Et chaque Jacobin sait que l’incorruptible désigne les
Comités.
« Si l’on me forçait à renoncer à une partie de mes
fonctions, reprend Robespierre, il me resterait encore ma qualité de
représentant du peuple et je ferais une guerre à mort aux tyrans et aux
conspirateurs. »
On l’acclame. Et il réussit à faire exclure Fouché du club
des Jacobins, mais les fils de l’intrigue noués par Fouché, Barras, Fréron, Tallien,
s’étendent bien au-delà du club des Jacobins.
L’opinion est prête à écouter et même à soutenir ceux qui
disent vouloir en finir avec la Terreur.
On a la « nausée de la guillotine », de ces six ou
sept charrettes qui chaque jour traversent Paris, et sur lesquelles on entasse
plusieurs dizaines de condamnés, cinquante-cinq tel jour – le 8 thermidor – dont
dix-neuf femmes.
Dans telle « fournée » – le 5 thermidor –, il y a
le général Alexandre de Beauharnais, et son épouse Joséphine croupit en prison,
attendant son tour. Et le 7 thermidor, parmi les trente-six condamnés, se
trouve le journaliste poète, André Chénier.
Ce sang versé, à quoi sert-il, puisque les armées de la
République commandées par les généraux Jourdan, Pichegru, Marceau sont entrées
à Bruxelles, à Anvers, à Liège ? Que la dernière place forte française – Landrecies
– est abandonnée par les Autrichiens qui l’occupaient depuis plusieurs mois.
Si la patrie n’est plus en danger, fait-on la guerre pour la
rapine, le pillage ?
Carnot vient de donner pour instructions aux représentants
du peuple à l’armée de Sambre-et-Meuse : de ne « pas négliger les
productions des beaux-arts qui peuvent embellir Paris ; faites passer ici
les superbes collections de tableaux dont ce pays abonde : les habitants
se trouveront sans doute heureux d’en être quittes pour des images ».
Barère fait prendre un arrêté par le Comité de salut public
invitant les troupes à se saisir des « Rubens ».
Et Carnot, quand il songe à envahir la Hollande, pense à la
richesse de ces Provinces-Unies.
Mais ces succès militaires rendent la Terreur, la tension qu’elle
suscite, encore plus insoutenables.
Des citoyens se réunissent, organisent dans les rues, les
cours des immeubles, des « banquets fraternels », que le
robespierriste Payan, un noble du Dauphiné devenu « agent national »
auprès de la Commune de Paris, dénonce.
Payan s’alarme de la multiplication de ces repas fraternels
dans les lieux publics.
« Les aristocrates, dit-il, y corrompent les
sans-culottes sous le prétexte des nouvelles victoires à fêter et les
persuadent qu’il est temps de mettre fin à la terreur. »
« Vous ne jouirez, dit Payan, des douceurs de la paix
que lorsque vous aurez précipité dans le cercueil tous les prétendus amis de la
paix. Loin de nous ce système par lequel on veut nous persuader qu’il n’est
plus d’ennemis dans la République ! »
Et Barère à son tour s’inquiète de ces agapes, où les
modérés boivent à la santé de la République, en déclarant :
« Nos armées sont victorieuses partout, il ne nous
reste que la paix à faire, à vivre en bons amis et à faire cesser ce
gouvernement révolutionnaire qui est terrible. »
Mais cette aspiration à la paix civile qui suscite ces
rencontres fraternelles entre citoyens ne naît point d’un complot modéré ou
aristocratique.
La lassitude est profonde. Et elle est d’autant plus grande
que les plus humbles des citoyens, les ouvriers, subissent le nouveau maximum des salaires que la Commune leur impose.
Un charpentier perd cinq livres par jour, un tailleur de
pierres deux livres, un forgeron des ateliers de l’armée près de six livres.
Ainsi à la lassitude s’ajoute le mécontentement, le
désenchantement, et même le dégoût.
À quoi sert donc ce gouvernement révolutionnaire ?
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