Aux armes, citoyens !
saluée avec ferveur.
« Je suis fait pour combattre le crime, non pour le
gouverner, dit-il. Le temps n’est point arrivé où les hommes de bien peuvent
servir impunément la patrie. Les défenseurs de la liberté ne seront que des
proscrits tant que la horde des fripons dominera.
« Citoyens… »
Il s’interrompt, se redresse, comme s’il voulait offrir son
corps à qui le vise.
« Citoyens…
« Je leur lègue la vérité terrible et la mort. »
La nuit est belle et légère après la journée suffocante.
Dans quelques heures, ce sera l’aube du 9 thermidor an II, 27
juillet 1794.
15.
« La vérité terrible et la mort » : ces mots
de Robespierre inquiètent et angoissent de nombreux membres des Comités de
salut public et de sûreté générale, du Tribunal révolutionnaire et de la Convention.
Et comme l’incorruptible a refusé de donner les noms de ceux
qu’il vise, la peur se propage.
Certains ne doutent pas du sort que l’incorruptible leur
réserve.
Fouché, lorsqu’il se rend auprès des députés du Ventre, cette
Plaine, ce Marais, qui occupent le centre de la Convention et qui siègent
précisément en face de la tribune, et forment un groupe de conventionnels
compact qui, par son vote, peut faire basculer l’Assemblée – pour ou contre
Robespierre
— ne cache pas que sa vie est en jeu.
« J’ai l’honneur d’être inscrit sur les tablettes de
Robespierre, à la colonne des morts », dit Fouché.
Il parle avec passion à Boissy d’Anglas qui, depuis son
élection en 1789, aux États généraux, mène une prudente carrière et est devenu
à la Convention l’un des membres les plus influents de ce Ventre.
Fouché veut le convaincre que renverser l’incorruptible, c’est
mettre fin à la Terreur, à cette loi de Prairial qui transforme chaque citoyen
en suspect et donc en condamné, selon le bon plaisir du Tribunal révolutionnaire.
Barras, Fréron, mais aussi Collot d’Herbois et
Billaud-Varenne, que les Jacobins viennent de chasser du club en les menaçant
du « rasoir national », appuient Fouché.
Boissy d’Anglas réunit ses collègues du Marais.
Si les Montagnards, à la suite de Fouché et des autres « terroristes »
anciens représentants en mission, corrompus, abandonnent Robespierre, si l’incorruptible
n’est plus entouré que de quelques amis sûrs et critiqué par les plus humbles
des citoyens, écrasés par la misère, las et mécontents, alors il y a un avenir
pour le Marais, le Ventre, la Plaine.
Dans la nuit du 8 au 9 thermidor, Fouché et Tallien
pressentent que les modérés de la Convention, les prudents et les lâches, les
héritiers des Feuillants commencent à redresser la tête, prêts à saisir l’occasion
d’abattre Robespierre et ces lois terroristes, si elle se présente.
Tallien insiste.
Il viendra, le 9 thermidor, avec un poignard. Car il ne s’agit
pas seulement de sa vie, mais de celle aussi de Thérésa Cabarrus, sa femme
aimée, cette fille de banquier et armateur espagnol, qu’il a rencontrée à
Bordeaux.
On l’avait arrêtée parce que son père était aussi agioteur, corrompu
et corrupteur, riche et donc suspect. Tallien avait réussi à la faire libérer, mais,
venue à Paris, elle a de nouveau été arrêtée, en mai, et elle n’échapperait pas
à la Sainte Guillotine si Robespierre et Saint-Just, Couthon, Le Bas, et ses
partisans à la Commune de Paris continuaient de dominer le pouvoir.
Il fallait que Robespierre tombe.
Et Tallien dénonce le discours prononcé la veille par l’incorruptible
à la Convention et répété au club des Jacobins.
Phrases hypocrites, apologétiques, annonçant la tyrannie, dit-il.
Et ce sont ces mêmes accusations que Collot d’Herbois, Billot-Varenne
ont reprises au Comité de salut public, lorsqu’ils sont rentrés du club des
Jacobins, au milieu de la nuit. Ils ont entouré Saint-Just, qui écrit.
« Tu rédiges notre acte d’accusation ? » lui
demandent-ils.
Saint-Just les toise.
« Eh bien oui, tu ne te trompes pas Collot, et toi aussi,
ajoute-t-il en se tournant vers Carnot, tu n’y seras pas oublié non plus et tu
t’y verras traité de main de maître. » Et Saint-Just reprend la plume, indifférent
aux colères des autres.
Vers cinq heures du matin, il range ses notes, se lève, impassible,
et s’éloigne d’un pas tranquille.
Il a l’intention, avant la chaleur qui s’annonce étouffante,
d’aller chevaucher au
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