Aux armes, citoyens !
rejoint – comme Thibaudeau – le Ventre, ce Marais
dont le vote, le 9 thermidor, a fait tomber Robespierre. On y trouve des hommes
qui, comme Boissy d’Anglas, Cambacérès, Durand-Maillane, veulent en finir avec
la Terreur sans pour autant retourner à l’Ancien Régime.
« Nous avons renversé la féodalité, dit Boissy d’Anglas,
l’égalité règne dans la République. »
Et naturellement, la confiscation des biens nationaux doit
être maintenue sous la « garantie de la foi publique ».
Mais les Barras, Fouché, Tallien, Fréron, qui ont été des
représentants en mission « terroristes » à Bordeaux, Lyon, Marseille,
Toulon, qui partagent les idées des députés du Ventre, ont aussi besoin de
faire oublier que leurs mains ont trempé dans le sang de nombreuses victimes, et
qu’elles se sont, avides, souvent emparées des biens des « aristocrates ».
Ces terroristes ont été des « friponneurs ». Ils
ont craint en Robespierre moins le « tyran des patriotes » que l’incorruptible.
Ils ont besoin de se séparer de Barère, de Billaud-Varenne, de
Collot d’Herbois, de Vadier, d’Amar, de tous ces antirobespierristes qui ont
voulu la chute de l’incorruptible, parce qu’il invoquait la Vertu, l’Être
suprême et l’immortalité de l’âme, mais ils veulent rester des Montagnards, des
Jacobins, qu’inquiète le retour des aristocrates.
« Vous trouverez les choses bien changées, bien
radoucies depuis la mort de Robespierre, écrit Ruault.
« Je trouve seulement que les royalistes ou les
aristocrates sont devenus un peu trop insolents. J’ai été insulté hier dans la
rue en qualité de patriote par un de ces messieurs qui était sorti de prison la
veille… »
Mais les anciens terroristes, soucieux de faire oublier leur
passé, ont besoin de ces « messieurs ».
Tallien qui a obtenu la libération de Thérésa Cabarrus, bien
vite nommée Notre-Dame de Thermidor, se rend presque chaque jour à la prison du
Luxembourg :
« Le peuple y accourt en foule, écrit un témoin, comble
Tallien de bénédictions, l’embrasse, embrasse ceux qui viennent d’être rendus à
la liberté. Soyez tranquilles mes amis, dit Tallien à ceux qu’il ne peut encore
faire sortir de prison. Vous ne soupirerez pas longtemps après votre liberté. Il
n’y a que les coupables qui ne jouiront pas de ce bienfait. Je reviendrai aujourd’hui,
je reviendrai demain et nous travaillerons jour et nuit jusqu’à ce que les
patriotes injustement détenus soient rendus à leurs familles. »
Et le conventionnel Legendre, cet ancien boucher, ce tribun,
qui fut proche de Danton, « visite sans cesse les prisons, écoute les
détenus, verse des larmes, les rend à leurs familles et s’il en a repoussé
quelques-uns revient bientôt vers ceux-là, grondant et pleurant à la fois. Il a
l’air de les chasser de la prison. »
Ceux qu’on commence à appeler les « Thermidoriens »
se constituent ainsi une clientèle.
Les parents des détenus, les jeunes gens qu’on nomme muscadins, parce qu’ils sont parfumés au musc, peuplent les tribunes de la Convention,
applaudissent quand le député Lecointre dénonce la « queue de Robespierre » :
Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Vadier…
La Convention déclare ces dénonciations calomnieuses mais
aux Tuileries, au Carrousel, au ci-devant Palais-Royal, et même place de la
Bastille, des groupes se forment.
On se plaint qu’une dénonciation aussi grave ait été traitée
si légèrement… On va même jusqu’à dire qu’on saura bien forcer la Convention à
terminer cette affaire.
Rien ne semble ainsi pouvoir empêcher cette division des
vainqueurs de Robespierre, qui s’amorce en août et septembre 1794 (thermidor et
fructidor an II).
Et un patriote lucide comme Ruault ne peut que s’en lamenter,
exprimant une opinion « raisonnable », républicaine, si présente aux
débuts de la Révolution, mais qui s’est peu à peu retirée de la vie publique, inquiète
et suspecte aux yeux des « ultra-révolutionnaires ».
« Oh, que les passions individuelles sont terribles et
honteuses dans une révolution, écrit Ruault. Elles envoient à l’échafaud les
hommes les plus énergiques, les plus capables de conduire à sa fin cette même
révolution ; ces hommes passionnés et délirants s’entretuent par la main
du bourreau, s’affaiblissent dans leur propre cause et déshonorent cette
étonnante,
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