Azteca
rentortilleraient tous dans les entrailles maternelles et iraient
se fondre à nouveau dans la semence.
Il ne fait aucun doute que nous soyons venus au monde pour souffrir et
peiner ; n’est-ce pas le sort de tout être humain ? Mais les paroles
de la sage-femme concernant la carrière des armes et les sacrifices n’étaient
que simagrées habituelles. J’ai entendu bien d’autres harangues édifiantes de
la sorte, venant de mon père, de mes professeurs, de nos prêtres – et des
vôtres –, tous se faisant l’écho machinal de ce qu’ils avaient eux-mêmes
recueilli des générations depuis longtemps éteintes. Pour ma part, j’en suis
arrivé à penser que les morts n’étaient pas plus avisés que nous, même quand
ils étaient en vie, et que le fait d’être morts n’ajoutait rien à leur sagesse.
J’ai toujours pris les discours solennels des défunts « avec mon petit
doigt » – nous disons, yca mapilxocoyotl – ou bien comme vous
dites, « avec des réserves ».
On grandit avec insouciance, mais en vieillissant, on se penche sur son
passé. Ayyo , c’était si bon d’être un enfant, rien qu’un enfant !
De voir devant soi les chemins et les jours s’étaler, s’effacer et se perdre,
sans qu’aucun d’eux ne soit regretté ou gâché ; quand tout était nouveau
et inédit, comme ça l’était jadis pour Ometecuhtli et Omecihuatl, le Couple
originel, « le seigneur et la dame de la dualité », les premiers
êtres de la création.
Sans aucun effort, je me rappelle et j’entends encore, dans mes
oreilles assourdies par les ans les bruits de l’aube sur notre île de Xaltocán
et je les ai encore en mémoire. Parfois je me réveillais à l’appel de l’oiseau
du matin, le papan, chantant sur quatre notes « papaquiqui,
papaquiqui » – invitant le monde à « se lever, à chanter, à danser, à
être heureux ». D’autres fois, je m’éveillais au bruit encore plus matinal
que faisait ma mère en écrasant le maïs sur le metatl de pierre, ou lorsqu’elle
pétrissait et façonnait la pâte de maïs qu’elle transformait en ces grandes et
minces galettes de pain tlaxcala que vous appelez maintenant tortillas.
Certains matins, même, je m’éveillais avant tout le monde, sauf les prêtres de
Tonatiuh, le soleil. Allongé dans l’obscurité, je les entendais, dans le temple
situé au sommet de la modeste pyramide de l’île, souffler dans une conque des
notes bêlantes et enrouées, tandis qu’ils faisaient brûler de l’encens ou
qu’ils tordaient rituellement le cou d’une caille (parce que c’est un oiseau tacheté
comme une nuit étoilée) et qu’ils s’adressaient au dieu en chantant :
« Vois, la nuit se meurt. Viens maintenant accomplir ta bienfaisante
besogne, ô toi, joyau des joyaux, aigle qui prend son essor, montre-toi pour
chauffer et éclairer le Monde Unique…»
Sans effort, sans peine, je me souviens des midis brûlants, quand
Tonatiuh le soleil, alors dans toute la force de la jeunesse, brandissait avec
fureur ses traits enflammés, tout en piétinant et en martelant le toit de
l’univers. Dans le bleu et l’or sans ombre de midi, il semblait qu’on pouvait
toucher les montagnes entourant le lac Xaltocán. En fait, c’est peut-être mon
plus ancien souvenir – je ne devais pas avoir plus de deux ans et je n’avais
pas encore la notion de la distance – le jour et le monde palpitaient autour de
moi et j’éprouvais le besoin de sentir quelque chose de frais. Je me rappelle
encore ma surprise enfantine comme allongeant le bras, je ne pus pas toucher la
montagne bleue et recouverte de forêts qui se profilait si clairement et si
près de moi.
Je me souviens également sans peine de la fin du jour, alors que
Tonatiuh refermait sur lui son manteau de nuit aux plumes brillantes et se
laissait tomber sur un lit mœlleux de pétales de fleurs et sombrait dans le
sommeil. Il s’échappait de notre vue vers Mictlan, l’Endroit Ténébreux. Des
quatre au-delà où peuvent résider les morts, Mictlan était le plus profond, la
demeure de ceux qui sont irrémédiablement et complètement morts, l’endroit où
il ne se passe rien, où jamais rien n’est arrivé, ni n’arrivera. C’était par
charité que pour un moment (très court, comparé au temps qu’il nous
prodiguait), Tonatiuh prêtait sa lumière (une faible lumière obscurcie par le
sommeil) à l’Endroit Ténébreux des morts sans rémission.
Pendant ce temps, dans le
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